Éditorial 2021/3 : Unité ecclésiale, uniformité liturgique et synodalité
L’actualité œcuménique récente nous a rappelé que le principal obstacle à l’unité visible des Églises se situe non seulement dans leur indifférence ou leur résignation aux séparations, mais plus encore sans doute dans leurs divisions internes.
À cet égard, on pourrait évoquer la visite du patriarche Bartholomée de Constantinople en Ukraine, au mois d’août 2021, et la réaction virulente prévisible du patriarcat de Moscou à cette visite. Mais au sein même de l’Église catholique, des tensions se sont manifestées aussi, en particulier sur la question sensible de la célébration de l’eucharistie. Après les débats suscités en Allemagne autour du document œcuménique Ensemble à la table du Seigneur, la lettre apostolique en forme de motu proprio du pape François Traditionis custodes, sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970, et sa lettre explicative aux évêques sur les raisons des restrictions apportées à cet usage, publiées en juillet 2021, ont réveillé bien des tensions en dénonçant les résistances d’une fraction de catholiques latins au concile Vatican II.
Au sein d’une importante Église orientale catholique, l’Église syro-malabare de l’Inde, la manière de célébrer la liturgie eucharistique fait aussi l’objet d’intenses controverses : dans cette vénérable Église de tradition syrienne, secouée au cours de son histoire par des tentatives de latinisation, la messe est célébrée face au peuple dans une majorité de diocèses, depuis cinquante ans ; d’autres préfèrent la célébration plus ancienne, où le célébrant est tourné vers l’autel ; d’autres encore combinent les deux attitudes. Encouragés par une lettre dans laquelle le pape François les encourageait à poursuivre leurs efforts pour parvenir à « un mode uniforme de célébration de la Sainte Qurbana », les évêques syro-malabars réunis en synode, au mois d’août, ont décidé d’imposer partout les normes, déjà arrêtées en 1999, selon lesquelles le célébrant commence la liturgie face au peuple avant de poursuivre la célébration face à l’autel, après l’homélie. Loin d’apaiser les tensions, cette décision, exposée par une lettre pastorale du cardinal Alencherry, a avivé la colère de ceux qui reprochent à l’archevêque majeur, déjà mis en cause pour de toutes autres questions, et à certains évêques d’imposer leurs visions et surtout de ne pas écouter le peuple de Dieu.
Pour les chrétiens d’autres Églises, ces débats sur la manière de célébrer le repas du Seigneur peuvent apparaître déconcertants dans la mesure où ils soulignent l’exigence d’une uniformisation de la liturgie alors que d’autres propos du pape insistent sur l’unité dans la diversité et sur la synodalité. Pour nombre de femmes et d’hommes de notre temps, ces querelles internes peuvent sembler surtout bien dérisoires face aux enjeux de la crise économique et sociale suscitée par la pandémie de covid-19 depuis plus d’une année ou aux enjeux de la crise environnementale.
Les Églises n’ignorent pas ces questions ! Avec l’archevêque de Cantorbéry, Justin Welby, primat de la Communion anglicane, les mêmes patriarche Bartholomée et pape François viennent de signer, à l’occasion du Temps pour la création 2021 (célébré du 1er septembre au 4 octobre), un message commun qui souligne l’importance de la coopération et de la durabilité, aspects essentiels de la réponse de l’humanité à la menace du changement climatique et de la dégradation de l’environnement, et appelle à prier spécialement pour les dirigeants mondiaux avant la COP26 en novembre prochain à Glasgow.
Cette mobilisation sur les enjeux de société tient également une place importante dans la réflexion et l’action du Conseil œcuménique des Églises, qui poursuit son Pèlerinage de justice et de paix, ainsi que dans les travaux de la Commission Foi et Constitution, dont nous avons commencé de publier plusieurs documents récents : Venez et voyez (Istina 2020/2) et Aimez et témoignez (Istina 2021/2). Dans le prolongement de ces publications, nous voudrions analyser le travail de la commission sur trois autres thèmes : l’Église, la préservation de l’environnement et, par la suite, le discernement moral.
Bénéficiant de la compétence de deux théologiennes américaines qui ont travaillé à leur élaboration, cette livraison d’Istina présente d’abord le document de synthèse des réponses apportées par des Églises et organes œcuméniques au texte de convergence L’Église. Vers une vision commune (2013). Puis elle analyse le document Cultivez et prenez soin, qui traite de la justice pour la création et en son sein. En offrant aussi une traduction française de ces deux documents, nous saluons l’important travail de la commission qui s’achemine vers la célébration de son centenaire et entendons contribuer à sa réception.
Istina