L’année 2010 aura été marquée par les célébrations du centenaire de la Conférence missionnaire mondiale d’Edimbourg, souvent présentée comme le début du mouvement œcuménique contemporain par son appel à un témoignage commun de tous les chrétiens. Sans doute les travaux historiques sur cette conférence ont-ils nuancé la portée œcuménique de cet événement. Reste que le nombre et la diversité des célébrations de cette année auront été l’occasion de rassemblements significatifs des progrès considérables réalisés depuis cent ans par ce même mouvement œcuménique. Ainsi lors d’une conférence de presse donnée à l’issue du rassemblement tenu dans la capitale écossaise, la présence du directeur de l’Alliance évangélique mondiale, aux côtés du secrétaire du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens et du secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises. De même, l’invitation de ce dernier au troisième rassemblement du Comité de Lausanne pour l’évangélisation du monde, réunissant au Cap en Afrique du Sud, du 16 au 25 octobre, quatre mille participants de la sensibilité protestante évangélique-pentecotiste, dont la très grande majorité continue de ne pas vouloir adhérer au COE. Des événements difficilement imaginables il y a quelques années, avant que la première réunion internationale du Forum chrétien mondial, en novembre 2007, ne marque un élargissement de la « table œcuménique » trop peu souligné.
Un autre anniversaire ne doit pas être oublié : à l’initiative d’un participant de la Conférence d’Edimbourg, Charles Brent, l’adoption, en octobre 1910, par la Convention générale de l’Église épiscopale des États-Unis, d’une résolution appelant à la tenue d’une conférence mondiale des représentants de toutes les Églises « afin d’étudier les questions relatives à la foi et la constitution de l’Église du Christ ». Cet appel fut aussi une étape importante de la naissance du mouvement œcuménique, même si Foi et Constitution ne devait tenir sa première Assemblée qu’en 1927. Bien que le rôle de la Commission semble hélas affaibli depuis quelques décennies, son travail actuel sur les questions ecclésiologiques et éthiques demeure nécessaire (1). Le communiqué conjoint publié après la rencontre du pape Benoît XVI avec l’Archevêque de Canterbury à l’occasion de son voyage en Grande-Bretagne, du 16 au 19 septembre, en a souligné l’intérêt en rappelant notamment « l’importance de poursuivre le dialogue théologique sur la notion d’Église comme communion, locale et universelle, et sur les implications de ce concept pour le discernement de l’enseignement éthique ».
Évoquer ces deux anniversaires est l’occasion de prendre la mesure du chemin parcouru, et d’en rendre grâce. Il en est de même lorsque nous exprimons notre reconnaissance à un acteur majeur du dialogue actuel, le cardinal Kasper, qui vient de transmettre à Monseigneur Koch la présidence du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens qu’il assurait depuis le 3 mars 2001. C’est aussi avec gratitude qu’Istina salue la mémoire de grands artisans du mouvement œcuménique disparus successivement au cours de l’été, dont elle eut l’honneur de publier des articles : Dom Emmanuel Lanne, moine de Chevetogne, membre de plusieurs commissions internationales de dialogue ; Dom André Louf, ancien abbé du Mont des Cats, et traducteur d’Isaac le Syrien ; Mgr Eleuterio Fortino, sous-secrétaire du même Conseil pontifical depuis 1987. Comment ne pas mentionner également le Père Maurice Jourjon, ancien co-président catholique du Groupe des Dombes, et le chanoine Paul Guibertaud, co-président de l’Association œcuménique pour la recherche biblique, cheville ouvrière d’une nouvelle édition de la Traduction œcuménique de la Bible (TOB) incluant pour la première fois les livres deutérocanoniques en usage dans l’Église orthodoxe ?
Les deux centenaires que nous avons rappelés mettent chacun en évidence deux termes clés du mouvement œcuménique, le témoignage et la communion. Ces deux termes figurent dans l’énoncé du thème de l’Assemblée spéciale du Synode des évêques catholiques, réuni à Rome du 10 au 24 octobre 2010, pour le Moyen-Orient. Dans cette région du monde où les chrétiens, minoritaires, sont fractionnés en de très nombreuses dénominations, on mesure sans doute mieux qu’ailleurs l’importance du témoignage commun et de la communion, comme les difficultés de les mettre en œuvre.
Le dossier pluridisciplinaire de ce numéro, en traitant des nationalismes religieux et des identités nationales religieuses, présente aussi un aspect important des difficultés auxquelles se heurte le mouvement œcuménique. Il reprend l’apport d’un colloque à l’Abbaye de Sylvanès, du 29 mai au 1er juin 2009. Organisé conjointement par le Centre culturel de cette Abbaye et par le frère Hyacinthe Destivelle pour le Centre Istina, avec la collaboration de l’Agence internationale diplomatie et opinion publique (Aidop) et à l’initiative de son fondateur le professeur Jean-Paul Durand, ce colloque a montré la complexité d’un phénomène que la mondialisation ne semble pas devoir faire disparaître. Bien plus, « la prolifération des revendications fondées sur des identités spécifiques conduit certains à pronostiquer une irrésistible ascension du néotribalisme à l’échelle mondiale, les individus recherchant de plus en plus à se regrouper selon des critères religieux ou ethniques. » (2) C’est dire que les interventions fort diverses à ce colloque nous offrent des éléments de réflexion sur les défis à relever par les Églises appelées au témoignage et à la communion tout en conservant leur identité.
Istina