On en parlait depuis des années, au temps de Jean Paul II puis de Benoît XVI ! La rencontre d’un pape avec le patriarche de Moscou et de toute la Russie a finalement eu lieu, le 12 février 2016, en un lieu très improbable il y a encore quelques décennies : Cuba ! En présence du président Raul Castro, et ce n’est pas le moindre des événements vécus lors de cette rencontre.
Pour la plus grande joie des médias en quête d’images spectaculaires, le pape François et le patriarche Cyrille se sont donné l’accolade et ont signé une longue déclaration commune au terme d’un entretien en tête à tête de deux heures. En un temps où les comportements déviants de clercs criminels sont une occasion presque quotidienne de lynchage médiatique des Églises, les chrétiens ne doivent certes pas bouder leur plaisir de voir une rencontre de leurs responsables faire ainsi la une des journaux télévisés et de quotidiens pour une fois moins critiques envers le christianisme !
Avec une belle candeur, certains ont cru pouvoir qualifier l’entrevue de La Havane de « grande avancée œcuménique » à la veille du saint et grand Concile panorthodoxe, enfin convoqué pour le mois de juin. Oubliant les rencontres précédentes d’un pape avec chacun des autres patriarches orthodoxes, ils ne se sont guère interrogés sur la vraie question : pourquoi ce changement d’attitude du patriarcat de Moscou qui repoussait jusqu’alors une rencontre avec l’évêque de Rome ? On nous permettra de douter que les motifs en soient (seulement) religieux. Quoi qu’il en soit, très vite, d’autres informations n’ont pas tardé à montrer les limites de l’événement. D’abord les déclarations, venant du patriarcat de Moscou, qui cherchaient à rassurer les milieux orthodoxes conservateurs effrayés à la perspective d’une unité avec Rome. Un document en vue du concile panorthodoxe sur les relations de leur Église avec les autres chrétiens – pourtant bien timoré, aux yeux de beaucoup d’œcuménistes –, les épouvante déjà ! Mais il y a eu surtout l’embarras du Vatican face à la très vive réaction des gréco-catholiques ukrainiens, blessés par un texte qui certes reconnaît leur droit à l’existence – et ce n’est pas rien ! – tout en leur donnant l’impression que les catholiques latins oublient les souffrances du peuple ukrainien et seraient prêts à faire l’unité avec les orthodoxes en sacrifiant leur communauté dont la fidélité baignée de sang et le dynamisme ne sont pourtant plus à démonter. Et le pape François de reconnaître, au cours d’un dialogue improvisé avec des journalistes dans l’avion qui le ramenait du Mexique en Italie, que « ce document est contestable » !
Dans ces conditions, l’événement œcuménique de cette année 2016 aurait-il été la célébration de vêpres catholiques, le mardi 9 février au soir à Hampton Court Palace, naguère lieu de résidence du roi d’Angleterre Henri VIII, qui fut à l’origine de la rupture de l’Église d’Angleterre avec celle de Rome au xvie siècle ? Certes, cette célébration présidée par le cardinal Vincent Nichols, archevêque catholique de Westminster, en présence de Richard Chartres, l’évêque anglican de Londres qui assura la prédication, n’eut pas la même ampleur que la rencontre de Cuba. Elle n’en fut pas moins hautement symbolique, alors que la réunion des primats venait d’éviter l’explosion souvent annoncée de la Communion anglicane à cause des discordes sur les questions de sexualité humaine, et que les Églises de tradition latine cherchent ensemble la note juste pour commémorer le 500e anniversaire de la Réforme.
Du fait de la participation annoncée du pape François, les médias accorderont sans doute plus d’attention à la cérémonie organisée par la Fédération luthérienne mondiale, le 31 octobre prochain à Lund en Suède, pour commémorer cet anniversaire. Dans la ligne du guide liturgique pour une « Prière commune », proposé aux Églises depuis le mois de janvier, cette célébration devrait conduire les participants à l’action de grâce pour les dons de la Réforme, au repentir pour les divisions qui ont fait suite aux controverses théologiques et à l’engagement au témoignage commun. Il est vrai que des voix n’ont pas tardé à se lever en Allemagne pour regretter que le pays de Luther ne soit pas le lieu de rencontre où le pape pourrait annoncer une avancée majeure dans les relations entre catholiques et luthériens. D’autres voix ne manquent pas non plus de souligner que l’héritage de 1517 est partagé par ces derniers avec bien d’autres traditions protestantes qui ne s’accordent pas sur les questions éthiques et sont allées beaucoup moins loin dans leur dialogue avec l’Église catholique que ne le manifestent le document international Du Conflit à la Communion, celui plus récent des États-Unis, Sur le chemin : l’Église, le Ministère et l’Eucharistie, ou encore l’étude allemande Réformation 1517-2017 à l’origine de ce numéro.
Reste que les rencontres au sommet ne sont qu’un aspect du cheminement œcuménique. Comme le rappelle Paul Ricœur, que les lecteurs d’Istina seront heureux de lire aussi dans cette livraison, les progrès œcuméniques sont inséparables d’une réception qui n’engage pas seulement les plus hauts responsables des Églises divisées ou leurs théologiens. Et l’on sait que les rapprochements de fidèles habitués à s’ignorer ou à se caricaturer prennent aussi beaucoup de temps !
Istina