En 2005, le grand historien américain Mark Noll publiait, avec la journaliste Carolyn Nystrom, un ouvrage dont le titre fit sensation outre-Atlantique : Is the Reformation Over ? Il y proposait une analyse de l’évolution du regard des protestants évangéliques américains sur le catholicisme qui, sans répondre tout à fait positivement à la question de la fin de la Réforme, invitait à dépasser les clivages d’antan et à les considérer plutôt comme l’expression de langages différents susceptibles d’enrichir mutuellement les deux partenaires.
Reprise dans un document évangélique européen qui y répond clairement « non ! », la question semble pourtant ressurgir plus que jamais au lendemain de la participation du pape François à la commémoration du 500e anniversaire de la Réforme organisée par la Fédération luthérienne mondiale, en Suède le 31 octobre dernier : le pape, qui contribue fortement à faire évoluer son Église, n’a-t-il pas reconnu que « la doctrine de la justification exprime l’essence de l’existence humaine face à Dieu » ? Certes, la déclaration commune signée par François et Martin Junge reste prudente : elle invite surtout les fidèles des deux communions à guérir les mémoires, à prendre conscience que ce qui les unit est plus grand que ce qui les sépare et à témoigner ensemble de l’avènement du Règne de Dieu. Tout en reconnaissant la souffrance des fidèles qui ne peuvent encore partager une même eucharistie, elle entend donc seulement favoriser la réception d’un accord doctrinal encore à venir.
En publiant le document Du conflit à la communion (2013), la commission internationale luthéro-catholique avait pourtant posé les fondements d’un tel accord. La Déclaration américaine présentée dans ce numéro décrit plus en détail l’ampleur du chemin parcouru par les deux partenaires depuis cinquante ans et le consensus différencié déjà atteint sur l’Église, le ministère et l’eucharistie. Sans proposer comme le document de la commission internationale une relecture commune des événements de la Réforme, cette Déclaration en chemin montre comment prolonger celle sur la doctrine de la justification et donc comment aller de l’avant dans une réconciliation doctrinale officielle des confessions encore séparées.
Ces documents ont certes leurs limites, et le professeur Hallonsten, catholique suédois, qui en propose ici un commentaire positif, en souligne quelques unes. Sans doute pourrait-on en ajouter une autre : chacun des deux partenaires est engagé également dans d’autres dialogues qui ne sont pas encore parvenus aux mêmes résultats ; ainsi celui mené entre l’Église catholique et la Communion mondiale d’Églises réformées (CMER), qui vient d’achever sa quatrième phase sur le thème « Justification et sacramentalité : la Communauté chrétienne comme opératrice de justice ». Des réformés peuvent-ils ratifier tous les points de la Déclaration en chemin ? Pourtant, en divers lieux, ils forment avec des luthériens une Église unie ou se reconnaissent déjà avec eux (et d’autres) en pleine communion, comme en Europe par la Concorde de Leuenberg (1973) et aux États-Unis par la Formula of agreement (1997), auxquels les deux textes luthéro-catholiques récents ne font étrangement pas référence.
La compatibilité ou la cohérence des nombreux dialogues bilatéraux est incontestablement l’une des clés de l’avancée du mouvement œcuménique, et l’on doit se réjouir que la CMER, en chemin vers la pleine communion avec la Fédération luthérienne mondiale, se prépare à « s’associer » à la Déclaration commune sur le doctrine de la justification lors de sa prochaine assemblée à Leipzig, au début de l’été 2017. En soulignant quelques accents particuliers de la théologie réformée (sanctification, élection, souveraineté de Dieu, relation entre justification et justice, etc.), sa déclaration d’association rappellera la diversité des courants qui ont fécondé la Réforme du XVIe siècle.
Avec leurs limites, ces différents documents ne veulent pas contribuer à refermer une parenthèse de division, mais plutôt nous aider à reconnaître ensemble quel fut alors, dans la complexité des événements dont Luther ne fut pas le seul acteur, le don de Dieu à son Église et à progresser vers une unité qui témoigne de Lui. En ce sens, ils sont bien un réel signe d’espérance et un beau témoignage de la fécondité du mouvement œcuménique.
Istina