Il y a trente ans, du 15 au 21 mai 1989, le premier rassemblement œcuménique européen avait réuni à Bâle des chrétiens de toutes confessions autour du thème « Paix et Justice pour la création entière ». Quelques mois plus tard, la destruction du mur de Berlin manifestait la fin du régime soviétique et de la partition du continent européen. Elle ouvrait l’espoir de rassembler des peuples façonnés par des valeurs communes dans un même ensemble démocratique prospère.
Aujourd’hui, à la veille de l’élection des députés au Parlement européen, qui aura lieu du 23 au 26 mai, ce rêve semble s’être évanoui et d’autres « murs » s’élèvent sur un continent en crise. Ayant abandonné progressivement la visée politique de ses « pères fondateurs » pour se limiter à un marché toujours plus grand autour d’une monnaie unique, l’Europe a connu plusieurs soubresauts financiers avant que le « printemps arabe » et la décision britannique de quitter l’union européenne, le « Brexit », ne sonnent le glas du projet d’un grand marché s’étendant de la Baltique à la Méditerranée.
Quant aux confessions chrétiennes, qui avaient pris conscience à Bâle du rôle qu’elles étaient appelées à jouer ensemble dans la construction européenne, elles connaissent aussi bien des épreuves : alors que l’Église catholique est confrontée à une tragique perte de crédibilité du fait notamment de son attitude face à ses ministres délinquants sexuels, le Jubilé de la Réforme a été affecté par le clivage persistant entre luthéro-réformés et évangéliques ; quant à l’orthodoxie, elle est également atteinte par des ruptures de communion qui ne sont pas sans liens avec l’effondrement du totalitarisme soviétique, qu’il s’agisse du phénomène de la diaspora ou des aspirations à l’autocéphalie d’Églises situées dans des pays nouvellement indépendants.
Parmi les pays qui bénéficièrent de la « chute du mur », l’Ukraine, dont l’indépendance fut proclamée le 24 août 1991 et confirmée par le référendum du 1er décembre 1991. Mais ce vaste pays, longtemps intégré à d’autres empires, cherche depuis son identité, entre une Europe en crise et son puissant voisin russe, qui n’a pas tardé à annexer une partie de son territoire. Les événements politiques de 2013-2014 ne sont qu’un aspect de cette quête d’identité dont la composante religieuse est apparue au devant de l’actualité avec la décision du patriarcat de Constantinople d’accorder l’autocéphalie à l’Église orthodoxe en Ukraine et la rupture de communion déclarée par le patriarcat de Moscou qui en a résulté.
Un concile s’est tenu à Kiev qui a créé l’Église orthodoxe d’Ukraine, sans la présence de la quasi-totalité des représentants de l’Église orthodoxe ukrainienne – patriarcat de Moscou, et qui a procédé à l’élection du métropolite Épiphane, le 15 décembre 2018. Un Tomos d’autocéphalie lui a été remis au Phanar, le 5 janvier 2019, par le patriarche Bartholomée de Constantinople. Mais cette Église parviendra-t-elle effectivement à rassembler l’ensemble des orthodoxes ukrainiens aujourd’hui encore divisés et à obtenir la reconnaissance des autres patriarcats et Églises autocéphales ?
Le paysage religieux de l’Ukraine ne se limite cependant pas à l’orthodoxie : dans ce pays qui compte des communautés juives et musulmanes, certes peu nombreuses, gréco-catholiques et protestants contribuent également par leurs traditions et leurs engagements dans la vie socio-politique du pays à façonner cette identité singulière de l’Ukraine.
C’est à cette diversité chrétienne de l’Ukraine que nous consacrons cette livraison d’Istina, qui ne prétend pas en couvrir tous les aspects ni refléter l’ensemble des points de vue. Après un panorama du paysage religieux ukrainien actuel, un deuxième article s’interroge sur la situation de l’orthodoxie. Sans doute certains lecteurs estimeront-ils qu’il met trop aisément de côté le refus du patriarcat de Moscou d’envisager que l’Ukraine ne fasse plus partie de son « territoire canonique » et s’étonneront-ils du regard sévère qu’il porte sur la décision du patriarcat de Constantinople. Rédigé avant les événements de décembre-janvier que nous avons rappelés, il a le mérite, sans engager aucunement la rédaction de la revue, de poser de vraies questions ecclésiologiques et d’ouvrir un débat. Le troisième article traite du protestantisme, en soulignant les difficultés auxquelles se heurtent les communautés baptistes et luthéro-réformées implantées avant la domination soviétique ainsi que les défis missionnaires qu’entendent relever des groupes plus récents majoritairement pentecôtistes-charismatiques. Avec de nombreux documents illustrant notamment les remous qui affectent l’orthodoxie en Europe, notre numéro nous rappelle donc que si « les murs de séparation entre les confessions chrétiennes ne montent pas jusqu’au ciel », leurs tensions internes créent aussi des barrières qui affectent grandement leur mission dans un monde où il y en a trop !
Istina