Issues d’un colloque organisé en 2014 par le groupe Sociétés, religions, laïcités (CNRS/EPHE), la quinzaine de contributions réunies dans cet ouvrage s’inscrit dans un vaste projet de recherche sur « le protestantisme et les enjeux de l’intégration à Paris ». Puisqu’il est aussi question des trois paroisses anglicanes de la capitale française, l’éditeur aurait pu ajouter l’anglicanisme dans le titre du livre.
En Île-de-France sont apparues dans les dernières années de nouvelles communautés protestantes. Fatiha Kaoues présente les Églises arabophones et berbérophones fondées par des personnes issues de l’immigration maghrébine ou des diasporas moyen-orientales : sept Églises égyptiennes à Paris et dans sa banlieue, une Église libanaise et deux Églises maghrébines. Leur prédication cible les populations de culture musulmane et s’appuie sur leurs spécificités culturelles.
Ces Églises nouvelles ne sont pas toutes repérables dans l’espace urbain. Certaines doivent célébrer leur culte dominical dans des zones industrielles. À l’exemple de la communauté érythréenne évangélique, de l’Église coréenne presbytérienne ou de l’Église angolaise francophone (évangélique) accueillies par la paroisse luthérienne des Billettes, d’autres sont hébergées par des paroisses plus anciennes ; avec parfois des relations complexes entre Église autochtone propriétaire et Église locataire, surtout lorsqu’elles ont des différences théologiques notables. Matthew Wood s’intéresse à la situation des anglicans malgaches et tamouls au sein des deux paroisses parisiennes de l’Église d’Angleterre, Saint-George et Saint-Michel. Toutefois, n’est-il pas exagérément critique lorsqu’il parle d’un manque d’intérêt des Britanniques, voire même d’une « suspicion », envers leurs hôtes ?
Tout aussi sévère, Gwendoline Malogne-Fer analyse le projet Mosaïc mis en place par la Fédération protestante de France pour faciliter les relations entre Églises, pasteurs et fidèles protestants de cultures différentes. Elle dénonce le « double jeu institutionnel » des dirigeants de la FPF qui chercheraient à représenter l’ensemble des courants du protestantisme auprès des pouvoirs publics tout en se démarquant dans les médias « d’une image négative associée à certains courants évangéliques en se présentant, par opposition, comme la vitrine d’un protestantisme “historique”, plus “intellectuel”, et respectable ».
L’ouvrage montre clairement que les évolutions du protestantisme francilien ne se sont pas limitées à la création de nouvelles Églises « ethniques », mais qu’elles ont aussi marqué de l’intérieur les communautés existantes. Tel est le cas de la paroisse de Melun, représentative du protestantisme luthéro-réformé historique, qui a vécu, selon Bernard Coyault, une « pluralisation culturelle, sociale et ecclésiale » avec l’arrivée de nouveaux membres issus de migrations africaines. Il en est de même pour l’Église libre de la rue d’Alésia, que Sébastien Fath situe au sein du courant évangélique de type piétiste, non charismatique.
Pour une autre facette de l’intégration, Rémy Bethmont s’intéresse au groupe Lambda de la cathédrale américaine de Paris (Communion anglicane) qui réunit des personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et trans) pour les aider à réconcilier leur orientation sexuelle et leur identité chrétienne. Mais l’inclusivité pastorale peine à se vivre avec les membres français du groupe, dans une paroisse presque exclusivement anglophone.
La collection Enquêtes des éditions Labor et Fides dans laquelle est publié cet ouvrage se veut résolument inscrite dans le champ des sciences sociales. Les développements théologiques n’y ont donc pas leur place ; mais s’il passe outre quelques barbarismes comme les « messes d’eucharistie » (p. 198 & 207), le théologien tirera grand profit des perspectives culturelles, sociales et politiques des études proposées.
Ainsi, là où la conversion est présentée en théologie comme un choix personnel, le sociologue remarque l’importance des logiques familiales qui prévalent dans les itinéraires religieux individuels, en montrant le rôle joué par le conjoint dans certains changements d’affiliation ecclésiale. De même on saluera les recherches sémantiques des auteurs pour qualifier le champ de leur recherche : « Églises de la diversité » plutôt qu’Églises issues de l’immigration, « Français d’origine européenne » préféré à « Français de souche »… Enfin, l’ouvrage permet de relativiser certaines frontières confessionnelles et l’on se range volontiers à l’observation de Jean-Paul Willaime, cité dans ces pages : dans la France actuelle, « les ghettos communautaires » sont « beaucoup plus économiques et sociaux que religieux ».
Franck P. Lemaître
Yannick Fer & Gwendoline Malogne-Fer (dir.), Le protestantisme à Paris. Diversité et recompositions contemporaines, Genève, Labor et Fides (coll. Enquêtes, 2), 2017 ; 420 p. 29 €. ISBN : 978-2-8309-1599-0.
Recension publiée dans la revue Istina, 2017/2.