Après celle d’Hans Schilling (cf. Istina LX [2015], p. 350), voici une nouvelle ample biographie du Réformateur. Professeur d’histoire moderne et contemporaine à la Faculté de théologie protestante de l’université de Strasbourg, auteur notamment d’études sur la correspondance de Luther et d’éditions de ses œuvres, M. Arnold était bien placé pour nous offrir ce portrait déployé en dix-huit chapitres au fil desquels lieux et écrits accompagnent la chronologie. Soucieux de prendre en compte « tout Luther », en particulier des sources négligées comme la correspondance et les Propos de table, et d’accorder la place qui convient aux dernières années de sa vie, qu’il ne perçoit pas comme un déclin, il n’hésite pas à se démarquer parfois d’autres biographes, en particulier allemands comme Brecht ou Leppin dont il souligne pourtant la grande qualité.
Avec clarté, il met en valeur certains traits du réformateur, qui sans vouloir fonder une nouvelle Église a bien une autre conception de l’autorité perçue par Cajetan, ou ses apports comme le caractère novateur de ses cantiques. Il nous offre également une présentation nuancée de questions débattues, comme la crise progressive vécue par le jeune Luther (p. 91) ou son attitude justement critiquée lors de la guerre des paysans (p. 345), avec Philippe de Hesse dont il accepte la bigamie, ou face aux juifs au moment où il voit les derniers temps s’approcher. Il apporte encore d’utiles clarifications, notamment sur la portée des 95 thèses dont il rappelle qu’elles ne traitent pas de la justification (note p. 98), sur la prétendue doctrine des « deux règnes » (p. 306s.) ou encore sur sa conception de l’eucharistie, remarquant avec raison que la violence de son débat avec Zwingli s’explique sans doute parce qu’elle met aux prises deux anciens prêtres (p. 380s. 389).
Peut-être le lecteur sera-t-il gêné par l’étrange manière de désigner l’ordre dans lequel il entra, les Augustins « érémites » (p. 40s.), d’ailleurs qualifiés de moines alors que l’auteur les rattache bien aux mendiants ; ou regrettera-t-il l’absence de mention de la publication, par C. Morerod, des opuscules de Cajetan de 1518, etc. Assortie d’index des noms de personnes et de lieux, d’une carte en couleur (en page de couverture) et d’un cahier central d’illustrations hors-texte en couleur, cette biographie, récemment primée par l’Académie des inscriptions et belles lettres, s’impose cependant comme une référence en français, aux côtés de la récente synthèse de Marc Lienhard (cf. Istina LXII [2017], p. 132-133) auquel l’auteur a succédé à Strasbourg.
Michel Mallèvre
Matthieu Arnold, Martin Luther, Paris, Fayard, 2017 ; 692 p. 25 €. ISBN : 978-2213643779.
Recension publiée dans la revue Istina, 2017/3.