Les patriarches Dimitrios et Bartholomée ont joué un rôle très important dans la prise de conscience de la crise environnementale à laquelle nous sommes confrontés, et plus particulièrement de sa nature de crise spirituelle. Parmi les théologiens qui ont nourri leur réflexion, le métropolite Jean de Pergame est incontestablement l’un de ceux qui ont été les plus écoutés. Il est donc heureux de pouvoir étudier sa compréhension des relations de l’être humain à la création dans un ouvrage publié peu avant son récent décès.
Ce livre rassemble en effet dix-huit textes rédigés par le théologien Jean Zizioulas depuis le temps où il donna trois conférences novatrices au King’s College de Londres en 1989 jusqu’à celui où il fut co-président du Comité religieux et scientifique du patriarcat œcuménique, suscitant une série de symposiums internationaux, interconfessionnels et interdisciplinaires marquants de la Méditerranée à l’Arctique. Si la plupart de ces textes ont été publiés entre 1990 et 2015, un tiers sont inédits, en particulier ceux qui offrent une perspective orthodoxe d’une théologie de la création (ch. 3) et une approche théologique du problème écologique (ch. 5).
Introduits par deux théologiens, qui replacent l’œuvre de Jean Zizioulas dans la tradition orthodoxe (Chryssavgis), puis dégagent les grands axes de sa « théologie verte » (Asproulis), ces dix-huit textes sont articulés en six parties qui proposent successivement un regard sur les racines historiques de la crise environnementale, une approche théologique de ce défi, des perspectives liturgiques sur notre relation à la création et des considérations éthiques, avant de rappeler la nécessité d’articuler les dimensions scientifiques et spirituelles et d’en souligner les implications œcuméniques.
Le titre de l’ouvrage indique bien l’importance de sa troisième partie dans la réflexion de Jean Zizioulas, qui privilégie un modèle sacerdotal des relations de l’être humain à la création, plutôt que d’autres modèles qui nous situent comme des intendants, des co-créateurs, des parties de la communauté de la création ou des serviteurs souffrants de la création. Il n’étonnera pas les familiers de l’œuvre de l’auteur qui insiste tant sur la personne comme être relationnel à l’image de la Trinité et sur la place centrale de l’eucharistie comme avant-goût de l’eschaton. Dans sa préface, Rowan Williams souligne l’affirmation par le théologien grec du besoin d’une « révolution spirituelle » fondée sur une réflexion sur le caractère relationnel de tout être fini, qu’il synthétise ainsi : « La tragédie de notre liberté créée réside dans le fait que nous nous détournons de notre vocation à conserver le flux du don au sein de l’ordre créé pour nous laisser entraîner dans l’obsession déformée de préserver notre propre privilège et notre sécurité aux dépens de tous les autres, humains et non humains. L’œuvre du Christ nous restitue cette place perdue du service – la place sacerdotale pour laquelle nous avons été créés. Et l’eucharistie, dans laquelle le corps du Christ attire en lui la vie matérielle du monde qui l’entoure pour la transformer, par la puissance de l’esprit, en un don à la fois à Dieu et de Dieu, est l’incarnation suprême du renouveau de notre humanité et du monde entier qu’accomplissent la vie, la mort et la résurrection du Christ » (p. viii). On ne peut que souhaiter une traduction française prochaine de ce livre important.
Michel Mallèvre
John Chryssavgis & Nikolaos Asproulis, Priests of Creation. John Zizioulas on Discerning an Ecological Ethos, Londres / New York, T&T Clark, 2022 ; 236 p. 29,95 $. ISBN : 978-0-5676-9909‑1.
Recension publiée dans la revue Istina, 2023/1.