Description
Figure incontournable de la sociologie du protestantisme, Jean-Paul Willaime publie ici une autobiographie intellectuelle, sous la forme d’entretiens avec le sociologue canadien Martin Meunier[1]. Né en 1947, Willaime a d’abord été professeur à la faculté de théologie protestante de Strasbourg, avant de devenir directeur d’études à l’École pratique des hautes études (Paris) pour la chaire d’histoire et de sociologie des protestantismes. Il prend ensuite la direction du Groupe Sociétés, religions, laïcités (GSRL), puis de l’Institut européen en sciences des religions. En 2007 il est élu président de la Société internationale de sociologie des religions.
Ce livre est surtout l’occasion pour lui de revenir sur différents thèmes qui ont marqué les quatre décennies de sa carrière : sa thèse sur la « précarité protestante » par exemple, ou encore son concept d’ultramodernité (une radicalisation du processus de la modernité). Ici ou là, il se démarque d’autres sociologues du religieux qui lui sont contemporains, Jean Baubérot ou Danièle Hervieu-Léger. Le lecteur d’Istina s’intéressera en particulier aux remarques portant sur l’œcuménisme et les identités confessionnelles du catholicisme et du protestantisme : y aurait-il une « différence anthropologique dans la gestion du sacré » et, dans la compréhension de l’eucharistie, des manières autres de penser le rapport humain / divin ?
Willaime justifie aussi son choix d’étudier sa religion de rattachement : « quand on voit le travail nécessaire de connaissance et d’empathie compréhensive pour pénétrer sociologiquement un système symbolique, j’estime que le fait d’étudier une religion dans laquelle on a été soi-même socialisé offre plusieurs avantages ». Membre de l’Église protestante unie de France – qui se veut aujourd’hui une « Église de témoins » dont les membres affirment leur foi sans complexe –, l’universitaire protestant rend compte également dans cet ouvrage de son itinéraire spirituel. Étonné de la façon dont ses « compères sociologues » perçoivent le phénomène religieux comme une soumission intellectuelle, Willaime fait l’apologie de la foi chrétienne comme gage d’une liberté fondamentale : confesser, avec l’évangéliste Matthieu, qu’« un seul est votre maître, et vous êtes tous frères », ne permet-il pas de vivre une indépendance absolue à l’égard de tout magistère, religieux ou politique ?
Parfois le propos est plus polémique : Willaime critique ainsi un certain complexe de supériorité français (qualifié de « nationalisme ») qui considère notre laïcité comme « le nec plus ultra des relations Églises-État ». Il déplore aussi « l’erreur sociologique et politique » de « considérer comme réalité négligeable les religions » : une erreur à corriger si l’on veut éviter « la guerre des dieux ».
Franck P. Lemaître
[1]. Parfois longs, les développements de Martin Meunier sont émaillés de québécismes dont le lecteur français devra vérifier le sens.