Osons partager nos fardeaux
Venu de Biélorussie à Paris pour ses études et sa quête intérieure de l’unité des chrétiens, Andrej Strocaŭ ne cache ni les difficultés du dialogue, ni sa joie d’une vie communautaire avec les autres chrétiens dans le cadre du centre œcuménique lstina.

Andrej Strocaŭ est titulaire d’un Master II de l’ÉHÉSS consacré à l’Action chrétienne des étudiants russes (ACER). Il est un ancien résident d’Istina.
À mes yeux, les rapports œcuméniques entre les chrétiens sont entrés dans une période de crise. Il s’agit d’une crise liée à des difficultés internes des Églises chrétiennes elles-mêmes. Les deux vont de pair. À l’heure actuelle, nous connaissons au sein de l’Église orthodoxe, une rupture eucharistique. L’Église orthodoxe russe a rompu ce lien sacramentel avec le patriarche œcuménique et d’autres patriarcats ayant reconnu la nouvelle Église autocéphale ukrainienne, proclamée par le patriarcat œcuménique. Pour l’instant, la dernière n’a pas été reconnue par toutes les Églises orthodoxes locales. En tant que simple fidèle, je trouve cela douloureux, notamment en France ou des orthodoxes de différents pays se côtoient. Certains fidèles sont forcés de quitter une paroisse pour aller vers une autre en raison de ces déchirures. C’est une grande tristesse pour moi.
Un autre exemple de crise au sein même de nos Églises est la conséquence des révélations dans certaines communautés catholiques. Ainsi par exemple les communautés « Communion et libération » ou « l’Arche » de Jean Vannier, traversent d’une manière ou d’une autre des temps complexes. Ces difficultés sont liées aux abus de leurs fondateurs, comme c’est le cas de Jean Vanier, ou bien à des conflits internes, comme c’est le cas de la communauté monastique de Bose. J’ai des amis dans plusieurs de ces communautés et je ne suis pas indifférent à leur souffrance. Je vois aussi une certaine crise de l’héritage du concile de Vatican II. Il ne s’agit pas seulement d’une réévaluation de sa réforme liturgique, mais aussi d’une relecture, et même d’un recul dans ses propositions d’ouverture des rapports aux autres chrétiens. Est-ce lié aux crises internes de ces nouvelles communautés, très investies dans le dialogue œcuménique ?
Quoiqu’il en soit, pour autant je ne suis pas pessimiste. Je connais plusieurs exemples beaux et inspirants. Je pense notamment à l’Institut théologique de Kiev qui réunit depuis des années des chrétiens du monde entier durant deux semaines pendant l’été. Il y a les contacts avec les communautés catholiques, le dialogue pan-orthodoxe poursuivi entre les Églises différentes y compris avec des fidèles de patriarcats théoriquement pas en communion entre eux. Je veux citer le Syndesmos, communauté internationale regroupant la jeunesse orthodoxe, la Fraternité orthodoxe d’Europe occidentale… Il ne faudrait pas non plus oublier le centre œcuménique Istina, exemple de vie commune assez unique. Je me demande simplement si ces crises ne sont pas des invitations de Dieu Lui-même pour approfondir et non pas interrompre notre amitié et notre travail commun. Or, souvent nous sommes enclins à un certain formalisme du dialogue œcuménique : présenter le meilleur de nos Églises et cacher le reste. Cela peut être compréhensible, voire même légitime dans un premier temps. Cependant saint Paul invite les chrétiens à porter les fardeaux les uns les autres (cf. Ga 6,2). Nous sommes au cœur du dialogue œcuménique également lorsque le Seigneur annonce par l’apôtre des Gentils : « Ma puissance s’accomplit au sein de la faiblesse » (II Co 12,19). Faut-il encore avoir le courage de l’admettre et la confiance de le partager ?
Au sein du centre Istina, par exemple, lors de notre soirée œcuménique durant le premier semestre de l’année académique 2019-2020, nous avons partagé les trésors spirituels de nos Églises. Les résidents étaient invités à tour de rôle à présenter, après la prière commune et le dîner, un charisme propre à leur Église. Lors du deuxième semestre nous aurions dû faire l’inverse : partager les fardeaux de nos Églises. Le confinement a empêché le deuxième volet de la rencontre. Les futurs résidents auront cette chance. J’espère que nous offrirons cette opportunité également au dialogue œcuménique de demain, lui évitant ainsi un confinement spirituel.
Publié avec l’aimable autorisation de la revue Unité des chrétiens, janvier 2021.