On notera avec intérêt que l’année 2017 a été marquée par la publication – aux éditions du Cerf – de deux thèses de doctorat soutenues par des théologiens mennonites, à savoir celle d’Anne-Cathy Graber sur Marie (dont on a rendu compte dans Istina, 2017/3, p. 381-382) et celle de Denis Kennel, dans laquelle il étudie l’anthropologie de deux anabaptistes du XVIe siècle, Balthasar Hubmeier (1480/85 – 1528) et Pilgram Marpeck (1495 ? – 1556).
Kennel s’intéresse en particulier aux traités que ces deux auteurs consacrent à la liberté humaine, en présentant la manière dont – avec « des conclusions similaires » – ils articulent grâce et volonté humaine. Dans une démonstration claire et convaincante, on comprend que ces deux Réformateurs ne suivent pas Luther dans ses conceptions sotériologiques. Certes l’homme ne se sauve pas lui-même, mais selon ces deux anabaptistes, il a la possibilité de vouloir être sauvé car il a en lui des ressources qui fondent sa capacité de réponse à la grâce. Hubmaier et Marpeck se montrent donc anthropologiquement plus optimistes que Luther, et plus proches de certains courants théologiques médiévaux, notamment du thomisme. Là où Luther a repris les thèses les plus pessimistes de saint Augustin (un « hyper-augustinisme »), les anabaptistes seraient, eux, héritiers d’un augustinisme modéré. Et Denis Kennel de conclure qu’en matière anthropologique, la Réforme dite « magistérielle » (luthérienne ou réformée) se révèle en fait plus radicale que la Réforme habituellement qualifiée de « radicale » (c’est-à-dire les courants anabaptistes), l’être humain étant considéré comme capable, avec l’aide de la grâce divine, de répondre au désir de Dieu de vaincre le mal en lui.
Cet « optimisme responsable » constitue du reste une base cohérente pour une ecclésiologie de professants, marquée par le caractère volontaire de la personne humaine. « Dans le concert des réformes », Kennel fait donc entendre une autre voix (une « autre protestantisation ») qui tient ensemble l’assurance de l’initiative de Dieu dans le salut (la grâce seule et première) et des appels fervents adressés aux hommes en vue d’un choix et d’une réponse personnelle attendue de chacun d’eux.
Franck Lemaître
Denis Kennel, De l’esprit au salut. Une anthropologie anabaptiste, Paris, Cerf (coll. « Patrimoines »), 2017 ; 334 p. 34 €. ISBN : 978-2-204-11409-7.
Recension publiée dans la revue Istina, 2018/1.