Cet ouvrage original à plus d’un titre nous conte l’itinéraire personnel d’un prêtre dominicain irakien résidant en France depuis 54 ans, tout en nous faisant découvrir les richesses d’un univers culturel qui a eu un grand impact tant sur les débuts du christianisme, souvent associé à la seule culture grecque, que sur l’islam. Après un premier chapitre évoquant la genèse de son engagement ecclésial et les coutumes de sa ville natale, Qaraqosh, il rappelle comment la Mésopotamie fut le berceau de la civilisation, puis il présente les traits caractéristiques de son pays, l’Irak, et de la tradition syriaque d’Antioche, avant de conclure sur son expérience de Parisien cosmopolite amoureux de la France. Comme il le laisse entendre à plusieurs reprises, le rappel des richesses culturelles des temps pré-islamiques et le refus d’avaliser un prétendu « humanisme » de l’islam le conduisent à dénoncer un manque de lucidité des sociétés occidentales dans leur rapport à cette religion (p. 175).
Ce livre complexe présente l’intérêt de révéler une personnalité attachante, marquée par son ministère parisien dans la suite de mai 68, qui n’hésite pas à se livrer dans sa vision du salut (p. 118s), ses indignations, ses blessures et ses doutes. Mais il préserve aussi la mémoire de bien des traditions d’un pays destructuré depuis des décennies et il nous invite à reconsidérer des certitudes sur un christianisme qui n’est pas seulement latin, sur la civilisation qui en est née et sur la crise du Moyen-Orient. Sans doute souffre-t-il de nombreuses coquilles et de certaines digressions polémiques, comme sur le célibat des prêtres, qui risquent de distraire le lecteur de son propos majeur… On aurait aimé mieux comprendre comment l’auteur conjugue sa foi avec une lecture critique de la Bible, dont il donne plusieurs exemples. Ou encore pourquoi l’onction des malades, oubliée dans son panorama des « mystères » sacramentels, ne donne pas l’Esprit (p. 131s.). On regrettera aussi l’absence de mention des numéros d’Istina sur la tradition syriaque dans la bibliographie. Mais le propos est original : à mi-chemin entre la biographie et l’étude anthropologique ou le panorama socio-culturel d’une région, tantôt anecdotique tantôt érudit, tout en réduisant au maximum les références. En écrivant ce livre, E. Pataq Siman a tenté un projet ambitieux et risqué. Il nous semble réussi, comme l’atteste le Prix littéraire décerné par l’œuvre d’Orient.
Michel Mallèvre
Emmanuel Pataq Siman, Itinéraire d’un chrétien d’Orient, citoyen de Mésopotamie, Paris, L’Harmattan, 2018 ; 190 p. 21,50 €. ISBN : 978-2-343-14163-3.
Recension publiée dans la revue Istina, 2018/2.