Christ et César. Quelle parole publique des Églises ?

Une recension publiée dans la revue Istina, 2019/1.

Institut supérieur d’études œcuméniques, Christ et César. Quelle parole publique des Églises ? Actes du colloque tenu à Paris du 9 au 11 avril 2013, Paris, Éd. du Cerf (coll. « Patrimoines »), 2018 ; 312 p. 28 €. ISBN : 978-2-204-12782-0.

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Description

En 2013, le colloque annuel de l’Institut supérieur d’études œcuméniques de Paris avait permis de faire le point sur la capacité des Églises à s’exprimer dans le débat public et à y être audibles, juste après la mobilisation de certains chrétiens contre le projet de loi visant à ouvrir le mariage aux personnes de même sexe.

La vingtaine de contributions réunies dans cet ouvrage constituent les actes de ce colloque. Elles permettent d’explorer les différentes facettes de cette relation entre « Christ et César ». On saluera le souci de croiser les regards en prenant en compte différents contextes historiques et géographiques. C’est qu’en effet « César est un mutant » (François Kalist). Une contribution de Stephen Brown par exemple analyse l’attitude des Églises protestantes en RDA, qui surent éviter les deux extrêmes de la soumission totale ou de l’opposition frontale avec le régime. Pour une période voisine, Ivan Karageorgiev s’intéresse à la répression subie par le clergé orthodoxe en Bulgarie.

Certaines spécificités confessionnelles sont soulignées. Michel Bertrand, ancien président du Conseil national de l’Église réformée de France, montre comment le souci de la collégialité génère une « réticence du peuple protestant à déléguer à ses responsables une autorité légitime pour parler en son nom ». De son côté, le pasteur Étienne Lhermenault explique comment l’insistance sur l’Église locale et l’accent mis sur la dimension individuelle du salut peuvent limiter la prise de parole publique en milieu évangélique.

Mais la lecture du livre laisse surtout percevoir un vaste consensus. Toutes les Églises défendent par exemple la légitimité de leurs interventions dans le champ temporel, en refusant de limiter leur mission aux questions spirituelles. Elles prônent une laïcité dans laquelle les Églises ou les milieux associatifs chrétiens doivent pouvoir élever la voix pour celles et ceux qui n’en ont pas et « rappeler à César ses engagements, et le droit plus grand que lui » (Chantal Crétaz). De même les Églises sont d’accord sur le style de leurs interventions dans l’espace public qui, sans chercher à manipuler ou à intimider, doivent rester de l’ordre de la proposition et prendre en compte la complexité du réel, alors que les médias sont surtout friands de messages univoques, voire simplistes. Comme le résume bien Matthew Harrison, les chrétiens ont « foi dans le débat public », et veulent « une place pour la foi dans le débat public ».

On comprend pourtant qu’une parole commune à différentes traditions ecclésiales est difficile à élaborer. Dès qu’on cherche le plus large accord possible, on risque en effet de ne s’accorder que sur le plus petit dénominateur commun, au risque d’une parole fade. Pour protéger des populations en péril par exemple (S. A. Grosjean), les Églises ont longtemps peiné à s’exprimer de manière univoque, certaines acceptant l’usage de la force armée pour éviter des violations de droits humains, alors que d’autres refusent tout recours à la violence.

Si les réflexions sont plutôt marquées par les contextes démocratiques occidentaux, l’exposé du patriarche maronite Béchara Boutros El-Raï permet de mieux comprendre la situation des chrétiens du Moyen-Orient qui vivent dans des milieux théocratiques, d’écouter leur espérance d’évoluer un jour « vers la démocratie, le pluralisme […], la liberté d’opinion et d’expression, la liberté de culte et de conscience… » ; et de mesurer la chance qui est celle des Églises en Europe.

Franck P. Lemaître

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