Pour qui veut décrire hors de l’Hexagone le paysage ecclésial français, la présentation de la Fédération protestante de France [FPF] n’est pas toujours tâche aisée. On saura donc gré aux éditions Olivétan d’avoir publié ce livre qui a pour objectif de « reformuler la vocation de la FPF », c’est-à-dire d’en proposer une auto-compréhension affinée, en précisant la nature du lien qui unit ses Églises membres.
C’est une décision du Synode national de l’Église protestante unie qui a généré le processus de réflexion aboutissant au texte publié ici. En mai 2015 elle rend en effet possible dans ses paroisses la bénédiction de couples de même sexe à l’occasion de leur mariage civil. D’autres Églises membres contestant ce choix, la FPF est traversée par « des tensions qui questionnent douloureusement le lien fédératif » et une vaste consultation est alors engagée parmi les protestants français. Beaucoup estiment que la décision synodale de l’Église protestante unie n’a été qu’un « symptôme supplémentaire », une « nécessité latente » de redéfinir le lien fédératif se faisant sentir depuis longtemps. Les rédacteurs considèrent même a posteriori que cette crise a constitué une chance, en redonnant à la FPF un « nouvel élan », comme l’indique le titre de l’ouvrage. Il n’empêche : il aura fallu tout le talent diplomatique des deux coordinateurs – l’exégète baptiste Valérie Duval-Poujol et le pasteur-président de l’Église protestante réformée d’Alsace et de Lorraine Christian Krieger – pour mener cette réflexion fondamentale dans un contexte polémique.
Les explications avancées à cette crise s’avèrent particulièrement intéressantes. La FPF aurait vécu un glissement : d’une logique initiale de coopération fédérative entre Églises séparées à une unité pensée sur le modèle de celle qui existe entre Églises luthériennes et réformées, à savoir une communion ecclésiale de chaire et d’autel. Or pour l’unité entre membres évangéliques et luthéro-réformés de la FPF, ce modèle a achoppé, les premiers estimant par exemple que la proximité dans les positions éthiques constitue « la condition d’une communion », alors que les seconds considèrent la diversité en matière morale comme non séparatrice puisqu’elle n’est que « le reflet, potentiellement fécond, de compréhensions différentes de la fidélité à l’Évangile ».
Sont également pointées deux compréhensions divergentes du partage eucharistique : les Églises luthéro-réformées « prêtent à la communion de la Cène une valeur performative » (la communion eucharistique génère la communion ecclésiale), alors que les Églises évangéliques « y voient l’expression concrète de la communion ou rupture de communion » (une manière d’articuler communion eucharistique et communion ecclésiale proche de celle à l’œuvre dans l’Église catholique et l’Église orthodoxe). Raison pour laquelle l’assemblée générale 2017 de la FPF a décidé de « lever l’exigence de l’accueil mutuel à la Cène » entre Églises membres.
Des débats et des réflexions sur l’unité chrétienne et l’intercommunion entre chrétiens séparés qui intéresseront bien au-delà du monde protestant français.
Franck P. Lemaître
Valérie Duval-Poujol & Christian Krieger, Un nouvel élan pour la Fédération protestante de France. Analyses et recommandations pour vivre les tensions et renforcer le lien fédératif, Lyon, Olivétan, 2017 ; 128 p. 13 €. ISBN : 9782-36479-410-1.
Recension publiée dans la revue Istina, 2017/4.