La situation ecclésiale orthodoxe actuelle en Ukraine. Quelques remarques critiques – Thomas BREMER & Sophia SENYK

Description

Résumé : Rédigé avant l’octroi de l’autocéphalie à la nouvelle Église orthodoxe d’Ukraine par le patriarcat œcuménique, cet article décrit d’abord la situation historique à laquelle les protagonistes du conflit en cours se réfèrent, c’est-à-dire depuis la fin du XVII^e siècle lorsque l’Ukraine d’aujourd’hui tomba sous l’influence politique et ecclésiale de Moscou. Dans une seconde partie, il discute les aspects problématiques de cet octroi de l’autocéphalie ukrainienne et de ses conséquences : l’autorité compétente pour l’accorder et la notion d’Église mère, les facteurs politiques, les arguments du soin pastoral des fidèles et du rétablissement de l’unité, les perspectives d’une Église nationale ouverte et le rôle de l’Église orthodoxe russe.

Abstract : Drafted before autocephaly was granted by the Ecumenical Patriarch to the new Orthodox Church of Ukraine, this article describes first of all the historical situation underpinning the positions of the protagonists in the conflict currently under way – namely, since the end of the 17^th century, when today’s Ukraine came under the political and ecclesial influence of Moscow. In a second section, he discusses the problematic aspects of such a granting of Ukrainian autocephaly, as well as foreseeable consequences : the existence of a competent authority to grant autocephaly as well as the idea of « Mother Church » ; political factors ; arguments concerning pastoral care of the faithful and reestablishment of unity ; the perspectives of an overtly national Church ; the role of the Russian Orthodox Church.

Auteurs : Thomas Bremer est professeur à la Faculté de théologie catholique de l’université de Münster (Allemagne), où il enseigne l’œcuménisme et les Églises orientales, et il est membre du Groupe Saint-Irénée. Sophia Senyk, membre de la communauté de Bose (Italie), a longtemps enseigné l’histoire de l’Église de la Rus’ à l’Institut pontifical oriental de Rome. Cette étude, rédigée avant la constitution de l’Église orthodoxe d’Ukraine, l’élection du métropolite Épiphane et l’octroi de l’autocéphalie à la nouvelle Église dont il est le primat, est publiée simultanément dans St Vladimir’s Theological Quarterly.

Extrait de l’article : Au sein de l’orthodoxie en Ukraine, il y a une possibilité d’alternative à un type d’Église orthodoxe qui est, avec raison, fréquemment critiquée. Celle d’une Église ouverte aux problèmes et au monde d’aujourd’hui, avec toutefois une forte sensibilisation à la tradition chrétienne et orthodoxe ; elle a une approche œcuménique des autres Églises et communautés chrétiennes ; en Ukraine, dans l’histoire comme de nos jours, on peut observer une sorte de réflexion théologique originale qui a influencé la théologie orthodoxe à un haut degré ; et l’orthodoxie en Ukraine pourrait prendre une saine distance vis-à-vis de l’État et de la nation. Ces traits sont le fruit de la situation de l’Ukraine, qui depuis des siècles se trouve au carrefour de l’Orient et de l’Occident, des sphères catholique et orthodoxe avec une influence significative des traditions juive et musulmane, avec une relation particulière à la Russie, à la Lituanie et à la Pologne. L’Ukraine moderne est multireligieuse, multi-ethnique et multiculturelle. Elle comprend différents paysages et régions aux caractères complètement différents, depuis les hautes montagnes jusqu’aux littoraux, des espaces ruraux et d’autres fortement industrialisés, de l’influence historique des Habsbourg à l’héritage cosaque. Cette pluralité et cette variété ne peuvent pas épargner les groupes religieux. Par conséquent, les orthodoxes d’Ukraine ont une expérience historique de rencontres avec d’autres traditions chrétiennes, des expériences de coopération et de conflits, mais aussi de coexistence et de résolution des conflits, ainsi que de persécutions religieuses et de survie.