On sait gré au pasteur mennonite François Caudwell d’avoir rendu accessible en langue française cet ouvrage important pour la compréhension de l’anabaptisme. Son auteur, Robert Friedmann (1891-1970), naît à Vienne dans une famille juive libérale. C’est au cours de ses études doctorales qu’il commence à s’intéresser aux sources anabaptistes en Autriche, en Allemagne du Sud et en Suisse, dont il deviendra l’un des meilleurs connaisseurs. En 1934, au bénéfice d’une conversion intellectuelle à la foi chrétienne, il reçoit le baptême ; avant de devoir se réfugier aux États-Unis en 1939.
Si Friedmann admet que le premier anabaptisme n’a pas cherché à rédiger de credo officiel ou de catéchisme, il estime toutefois que ce « christianisme existentiel » n’était pas sans unité dogmatique. À partir des séances de procès, des minutes d’interrogatoires, des témoignages de foi des premiers fidèles, il cherche à reconstruire, de manière systématique, la pensée anabaptiste primitive.
Les grands traités de la foi chrétienne sont donc passés en revue : la question de Dieu (Trinité, christologie), l’anthropologie, la sotériologie, l’eschatologie, et un chapitre sur l’ecclésiologie dans lequel sont également abordés les sacrements. Sur ce point, le lecteur non familier de la tradition anabaptiste pourra s’étonner de la stricte discipline des communautés anabaptistes et de la place accordée au « bannissement » des membres défaillants (ce qu’on pourrait aussi qualifier d’excommunication) « en tant qu’expression d’un amour fraternel destiné à venir en aide au membre fautif dans son combat pour rester sur le droit chemin » (p. 149). Friedmann considère même cette exclusion comme un « troisième sacrement » (avec le baptême et la sainte cène) puisqu’elle fait l’objet d’une ordonnance explicite de Jésus (Mt 18, 45-19).
Se démarquant de ceux qui qualifient l’anabaptisme de branche radicale du protestantisme ou d’« aile gauche de la Réforme », Friedmann estime que la théologie anabaptiste n’est ni catholique ni protestante, tout en concédant certains traits communs avec les insistances luthériennes ou calvinistes : l’opposition à l’Église de Rome, le sola Scriptura, le sola fide. Sur certains points, on pourra relever une proximité de l’anabaptisme avec la théologie catholique : l’accent mis sur la sanctification plutôt que sur la justification, le rejet d’une théologie de l’Église invisible, l’insistance sur la célébration fréquente de la sainte cène, mais aussi la place de choix accordée à la vie communautaire / religieuse, Friedmann reconnaissant lui-même que les disciplines ecclésiales anabaptistes « rappellent quelque peu les regulae des ordres monastiques médiévaux » (p. 151).
Franck Lemaître
Robert Friedmann, La Théologie de l’anabaptisme. Une interprétation. Traduit de l’anglais par François Caudwell, Les Ponts-de-Martel (Suisse), Éd. de la Talwogne, 2016 ; 224 p. 23 €. ISSN : 978-2-9700697-5-1.
Recension publiée dans la revue Istina, 2016/2.