Grande figure de l’Orthodoxie en France, l’auteur a publié cet ouvrage quelques mois avant son décès, survenu le 7 janvier 2018, à l’âge de 91 ans. Comme l’explique B. Le Caro dans sa préface, il offre pour l’essentiel « une histoire spirituelle succincte de la France vue par un orthodoxe ». Ce regard est précédé d’une autobiographie (I) et suivi de réflexions sur la présence de l’Église orthodoxe en Europe occidentale (XI et XII) et sur l’unité des chrétiens (XIII et XIV), avant d’ultimes considérations sur la vie chrétienne aujourd’hui, notamment la formulation d’exigences doctrinales et principes de vie (XV et conclusion).
La biographie permet de percevoir les liens familiaux de l’auteur avec l’orthodoxie, la genèse de sa vocation cistercienne précoce, l’ampleur de son travail d’édition mais aussi son itinéraire ecclésial : l’importance d’un pèlerinage en Égypte en 1960, les désillusions du Concile Vatican II, la fondation du monastère de rite oriental d’Aubazine (1966) et la prise de conscience qui l’amène à entrer dans l’Église orthodoxe dix ans plus tard. À la suite d’un long développement sur la validité du baptême, il explique sa libre demande d’y être reçu au Mont Athos par la réitération de ce sacrement (p. 47-52, en particulier 51). Sans être nécessairement convaincu par ses explications relatives à l’absence de reniement du baptême déjà reçu dans l’Église catholique, le lecteur appréciera du moins qu’elles soient plus claires que celles rapportés il y a quelques années dans Propos d’un moine orthodoxe (p. 59 ; cf. Istina LVI [2011], p. 224).
Dans la partie historique, l’auteur s’attache à décrire la séparation progressive des traditions orientales et occidentales, avec le souci de citer des auteurs catholiques pour justifier ses intuitions sur la liturgie byzantine (Le Guillou, p. 32) ou sur la mutation du XIIe siècle (Congar, p. 36-37). S’il rend parfois justice à l’Occident, comme sur la déification (p. 181 et 201), il y perçoit une infidélité à la Tradition dont le grand responsable est Augustin. Le ton est certes moins polémique que dans son ouvrage interview, mais le P. Placide n’est guère compréhensif pour le protestantisme, brièvement évoqué et réduit à un durcissement de l’augustinisme et à l’iconoclasme (p. 230 et 283). De même, pour le mouvement œcuménique dominé par une ecclésiologie d’origine protestante (p. 280 et 318). Sans doute concède-t-il que les relations orthodoxes-catholiques peuvent permettre des enrichissements mutuels (p. 308), mais dans le cadre d’une simple coexistence car « l’acceptation de la doctrine et la pratique vaticane de la primauté, même “rénovée”, ne serait qu’une nouvelle forme d’uniatisme » (p. 305).
Ce livre rassemble en fait des conférences et articles déjà publiés sous forme de fascicules, dont le lecteur retrouve parfois les traces (telle la mention de Montgeron, p. 292). Les genres littéraires sont également assez divers : témoignage, récit argumenté, étude technique (sur le chapitre VII de la règle de St Benoît, p. 91s.), etc. Ce sont aussi des textes qui datent : le nombre des orthodoxes de France est encore estimé à 200.000 (p. 275), les pages sur la situation actuelle de l’orthodoxie ne disent rien du Concile de Crète, et celles sur l’œcuménisme remontent aux années 1970-80, sans mention de documents plus récents. Du moins ce livre présente-t-il l’intérêt d’éclairer l’itinéraire dramatique d’un moine catholique aux prises avec les transformations considérables du XXe siècle et une certaine mentalité intransigeante qui tient une place importante dans l’Orthodoxie.
Michel Mallèvre
Placide Deseille, De l’Orient à l’Occident. Orthodoxie et catholicisme, Genève, Éd. des Syrtes, 2017 ; 350 p. 20 €. ISBN : 978-2-940523-64-1.
Recension publiée dans la revue Istina, 2018/1.