Éditorial 2021/2 : Déconfinés ?
Alors que beaucoup de pays occidentaux s’engagent dans un assouplissement des mesures de protection sanitaire contre la pandémie qui a bouleversé le monde depuis plus d’une année, la tentation est forte de s’interroger sur le « déconfinement » confessionnel qui pourrait en résulter.
De fait, les relations œcuméniques ont été incontestablement handicapées par l’impossibilité de se réunir. Plusieurs rassemblements ont été reportés, notamment la onzième assemblée du Conseil œcuménique des Églises, initialement prévue en septembre prochain, qui devrait se tenir à Karlsruhe du 31 août au 8 septembre 2022 sur le thème « L’amour du Christ mène le monde à la réconciliation et à l’unité ».
La situation sanitaire, il est vrai, a aussi poussé les Églises à se retrouver ensemble face à deux questions émanant de cette crise. D’une part, celle des changements dans notre manière de vivre à long terme en prêtant davantage attention au soin de la création et aux plus pauvres selon un autre modèle de développement économique et sociétal. Plusieurs prises de position communes, auxquelles Istina a pu faire écho, ont illustré cet éveil de conscience.
D’autre part, celle des ressources numériques qui ont permis que se tiennent de nouveaux types de rencontre ou de culte par visio-conférence, comme le troisième Kirchentag œcuménique, « numérique et décentralisé » du 13 au 16 mai. La 25e Conférence européenne de l’internet chrétien, qui s’est tenue en ligne le 19 mai, s’est ainsi demandé ce qui se passe au sein d’un peuple de Dieu, dont les membres ne peuvent se rencontrer physiquement pour louer leur Seigneur. Quels seront aussi les effets durables de réunions virtuelles d’abord envisagées comme une mesure de suppléance ? Cette question préoccupe bien des Églises qui se demandent si leurs fidèles reviendront dans les édifices religieux ou s’ils briseront leurs liens en préférant inviter désormais chez eux, selon le besoin du moment, telle ou telle forme de culte proposée sur le net.
De fait, les moyens de rencontre virtuels expérimentés à titre supplétif n’ont-ils pas ouvert une nouvelle ère ? La pandémie n’a-t-elle pas accéléré l’alignement des pratiques ecclésiales sur l’individualisme qui caractérise les mentalités post-modernes ? N’a-t-elle pas favorisé une forme de vie chrétienne post-dénominationnelle déjà induite par la déconsidération de beaucoup d’Églises minées par les dérives ou les abus de quelques-uns de leurs ministres ?
Avec raison, on a beaucoup critiqué les conséquences néfastes du confessionalisme et dénoncé des identités religieuses souvent construites sur une volonté de différenciation d’autres groupes à partir de caricatures. Mais n’entrons-nous pas dans un confinement encore plus redoutable que celui des Églises séparées : celui d’individus en proie aux fascinations fugitives de produits religieux promus par les médias sociaux, au mieux reliés à des réseaux éphémères ? Les dialogues de la vérité et de la charité de communautés croyantes séparées au sein du mouvement œcuménique permettaient au moins un débat critique entre des visions chrétiennes qui avaient une certaine cohérence et parfois un dépassement des clivages confessionnels face à de grands défis par des prises de position ou actions communes. L’unité de chrétiens livrés à leur subjectivité risque d’être autrement plus difficile à promouvoir que celle d’Églises enracinées dans des cultures ecclésiales séculaires.
Pour permettre au lecteur d’Istina de mieux appréhender la reconfiguration du paysage religieux et ses conséquences sur le mouvement œcuménique, ce numéro voudrait attirer l’attention sur le rôle de la musique, et plus particulièrement du chant dans le rapprochement des chrétiens. En évoquant la réalité de répertoires communs par-delà les clivages confessionnels ou les expériences de chorales interconfessionnelles, il invite à réfléchir sur des aspects déjà anciens de cette fonction de la musique. En s’interrogeant sur son rôle dans le rayonnement croissant de certains lieux, comme Taizé ou Hillsong, auprès des jeunes générations, il invite à mieux comprendre les ressorts d’une dynamique qui n’est pas toujours portée par une préoccupation œcuménique. À travers ces exemples, par lesquels Istina veut simplement ouvrir un chantier appelant bien d’autres explorations, quelques questions surgissent. Comment la musique (ou le chant religieux) contribue-t-elle à tisser des liens entre des communions d’Églises séparées ? Contribue-t-elle à une ouverture mutuelle et à une réduction des clivages confessionnels par un véritable « échange de dons » ? Ou aboutit-elle à un « globish » interconfessionnel en fait bien éloigné d’une démarche œcuménique de recherche d’une unité dans la diversité ?
Istina