Lorsqu’il cessa d’assurer la direction du Centre Istina, le 23 septembre 2004, trente-sept années s’étaient écoulées depuis l’arrivée de Bernard Dupuy à la tête de cette institution et de sa revue, au printemps 1967. Extraordinaire longévité d’un témoin et acteur de l’essor de l’œcuménisme et de l’ouverture des relations entre l’Église catholique et le judaïsme, des années d’après-Concile jusqu’à l’aube du troisième millénaire.
En signe de reconnaissance pour tout ce qu’ils ont reçu de lui, ses amis et ceux qui lui ont succédé dans l’animation d’Istina ont conçu ce numéro à l’occasion de l’anniversaire de ce grand serviteur de l’Église né le 21 août 1925. Il ne s’agit pas de dresser prématurément le bilan d’une œuvre multiforme ni seulement de rappeler comment il a contribué au rayonnement international et à l’élargissement du champ d’activités du Centre. Ce numéro voudrait, en effet, aussi aider les lecteurs à découvrir, au-delà de sa compétence reconnue, la riche personnalité qui a marqué de son empreinte la vie œcuménique et surtout le retour des chrétiens à leurs sources juives.
Une esquisse biographique rappelle d’abord l’itinéraire de cette vie étonnamment féconde. Une place importante est accordée aux années de formation dominicaine puis au temps du Concile Vatican II, c’est à dire avant l’arrivée de Bernard Dupuy à Istina et les débuts de son engagement envers le peuple juif, en 1967. Deux lettres de lui sur son travail au service des Pères conciliaires complètent cette esquisse que trois témoignages viennent ensuite illustrer. Ceux d’amis de longue date, le dominicain René Beaupère et le protestant Fadiey Lovsky. Puis celui du père Jean Dujardin, qui lui succéda comme secrétaire du Comité épiscopal des relations avec le judaïsme.
Pour beaucoup, Istina c’était et c’est encore Bernard Dupuy ! Cette identification entre un homme et une institution peut paraître surprenante lorsque l’on sait que le Centre, héritier du séminaire russe installé à Lille quelques années plus tôt, a été fondé en 1927. De plus, avant le père Dupuy, d’autres dominicains contribuèrent au renom d’Istina. Faut-il rappeler ici la figure trop oubliée de Christophe Dumont qui, avant lui, dirigea le centre pendant plus d’un quart de siècle ? L’article du professeur Fouilloux nous rappelle cette « pré-histoire » et éclaire le silence historiographique qui plane sur ces premières décennies. Une synthèse d’un demi-siècle d’articles de la revue, par l’Archimandrite Grigorios Papathomas, complète cette étude en resituant l’orientation donnée par Bernard Dupuy à Istina dans une histoire qu’il n’avait pas inaugurée.
Enfin, le cardinal Georges Cottier, ancien théologien de la Maison pontificale, qui avait participé au travail du Concile en même temps que Bernard Dupuy, clôt cet hommage à son confrère dominicain, en faisant l’honneur à la revue Istina de rappeler l’intérêt majeur d’un ouvrage de Charles Journet sur le peuple juif.
De la silhouette qui se dégage de ces approches diverses et inévitablement limitées, on retiendra d’abord peut-être la très abondante production de conférences, articles, notes de synthèse, traductions, où le lecteur perçoit effaré la multiplicité des lectures du père Dupuy. Sa vaste culture, sa curiosité ne le portent pas seulement vers les travaux qui rejoignent ses responsabilités et champs de compétence, mais aussi vers les sujets les plus divers. Si un tel eccléctisme lui permet d’ouvrir les lecteurs de la revue qu’il dirige sur de vastes horizons, n’est-ce pas au détriment de la rédaction d’ouvrages de synthèse et de réflexion sur l’œcuménisme et le judaïsme, que beaucoup ont attendus en vain ? Sans doute.
Mais l’essentiel de son œuvre ne saurait se mesurer au nombre de pages écrites, y compris de poèmes, pourtant considérables. Bernard Dupuy, c’est aussi l’intellectuel sensible à « l’Église des pauvres » au temps du Concile qui sut encore en accueillir à Istina. C’est le dominicain, demandant régulièrement à son prieur des nouvelles de ses frères à qui sa pudeur masquait son attachement. C’est surtout peut-être un éveilleur : combien de personnes emportées par le brio et la profondeur de ses interventions ont été convaincues de l’urgence de l’unité des chrétiens et du dialogue avec le judaïsme ! Puisse le Centre Istina, où son souvenir reste bien présent, continuer de le faire aujourd’hui.
Istina