Éditorial 2023/3-4 : Attention au réveil

Ce fascicule voudrait honorer celui qui a porté la revue Istina dans les dernières années : depuis le printemps 2010 et jusqu’à l’été 2023, Michel Mallèvre a veillé à la parution d’une cinquantaine de numéros trimestriels, la pandémie du coronavirus n’ayant pas mis à mal ce rythme régulier. À dire vrai, sa participation au comité de rédaction d’Istina avait commencé dès les années 2000, même si le Service national pour l’unité des chrétiens à la Conférence des évêques de France, et la petite sœur d’Istina – la revue Unité des Chrétiens, née en 1971 – mobilisaient alors l’essentiel de ses énergies.

En signe de reconnaissance, des collègues et ami·e·s lui partagent ici le fruit de leurs travaux et réflexions sur la vie des Églises chrétiennes et l’œcuménisme. Ces articles et recensions portant sur des thématiques variées qui ont préoccupé Michel Mallèvre au cours des dernières années rendent hommage à son intérêt large pour le christianisme dans toute sa diversité. Assurément bien d’autres auteurs auraient pu y trouver leur place mais, même en optant pour un fascicule double, il n’était pas possible d’insérer davantage de contributions.

Si cette gratitude est exprimée maintenant, au moment où il quitte le poste de rédacteur en chef, il est bien clair qu’il ne s’agit pas d’un adieu, ni même d’un au revoir, puisque Michel Mallèvre gardera la plume, pour les recensions de livres notamment.

Ce mandat de treize années s’est d’abord inscrit dans la continuité avec le travail de ses prédécesseurs dominicains. Dans une revue chargée d’histoire – Michel Mallèvre et Istina ont presque le même âge –, il s’agissait de scruter ce réveil œcuménique qui marque le christianisme mondial depuis la Conférence missionnaire d’Édimbourg en analysant les progrès considérables réalisés par le mouvement œcuménique, en sachant aussi hiérarchiser l’importance des événements, sans suivre les enthousiasmes médiatiques passagers.

Mais cette décennie 2010 aura aussi été marquée par des évolutions pour Istina  : un intérêt plus neuf pour tout ce qui s’éveille dans le paysage religieux mondial, par exemple l’essor et le dynamisme des Églises sur le continent africain ; le choix délibéré d’aider le lectorat – celui des facultés de théologie notamment – à découvrir que les communautés et réseaux pentecôtistes ne boudent pas la réflexion universitaire, que l’ouverture au dialogue du protestantisme évangélique et des pentecôtistes dits classiques « constitue bien désormais le grand enjeu des relations entre les chrétiens et de leur témoignage commun », comme l’écrivait Michel Mallèvre.

L’avenir d’Istina s’écrira aussi entre continuité et évolutions nécessaires. Pour le centre d’études œcuméniques, c’est un choix stratégique de poursuivre fidèlement la publication de la revue à la suite de Michel Mallèvre, alors que le nombre d’abonnés a diminué, dans un contexte éditorial difficile comme en témoignent la fin de l’activité numérique de La Documentation catholique en juin dernier et la disparition de la revue Unité des Chrétiens en ce dernier trimestre 2023.

Au plan pratique, il faudra avoir la liberté de s’affranchir de cadres trop contraignants, comme l’exigüité d’un fascicule trimestriel d’une centaine de pages. Il faudra aussi améliorer l’articulation entre les contenus mis en ligne sur internet et la publication imprimée.

Au plan des contenus, il restera essentiel de s’intéresser à l’ensemble du mouvement œcuménique comme à ce qui est plus neuf et moins repéré. On veillera par exemple aux dialogues intra-évangéliques, encore nouveaux, comme en témoigne la traduction du volumineux accord entre baptistes et méthodistes publiée dans ce fascicule. Il faudra aussi essayer de cerner la nébuleuse « néo-charismatique » et les conditions de possibilité de son éveil à la quête de l’unité.

Cette attention à ce qui s’éveille, ou risque de s’endormir, restera donc prioritaire. Elle demande de ne pas ronronner dans les manières de faire et les sujets traités. Pour reprendre l’avertissement de Jürgen Moltmann[1], il y a dans le mouvement œcuménique quelques « somnifères », qui assoupissent ses plus vaillants promoteurs. Avec l’actuelle présidente pour l’Europe du Conseil œcuménique des Églises, Susan Durber (United Reformed Church, Grande-Bretagne), on peut estimer que le mouvement œcuménique a lui aussi besoin d’être réveillé : « Let us wake ourselves up ![2] ». Dans les prochaines années, Istina entend bien contribuer à ce réveil.

Franck P. Lemaître, OP

[1]         « Das konservative Programm der “versöhnten Verschiedenheit” des lutherischen Weltbundes wurde zur Schlaftablette der Ökumene : Alle bleiben, was sie sind, und sind nett miteinender. » (Jürgen Moltmann, Weiter Raum. Eine Lebensgeschichte, Munich, Gütersloher Verlaghaus, 2006, p. 92 ; nos italiques).

[2]          « we need to be roused to something more attractive, energizing, and fertile ! » (Susan Durber, « A New Theme for the World Council of Churches : Towards a Heartfelt Ecumenism », in Ecumenical Trends, January / February 2022, p. 14-17, citation p. 15).