Éditorial 2020/3 : De l’œcuménisme institutionnel aux réseaux informels ?

Le mouvement œcuménique est souvent identifié à d’anciennes institutions dont on ne cesse de fêter les anniversaires. Après le Conseil œcuménique des Églises [COÉ], dont on a célébré les soixante-dix ans en 2018, le Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens ne vient-il pas de fêter ses soixante années d’existence ? Ces vénérables institutions continuent à jouer leur rôle. S’il a été contraint de reporter d’une année sa 11e assemblée et de différer la désignation de son nouveau secrétaire général, le COÉ multiplie les initiatives, avec d’autres partenaires, pour promouvoir une « économie de la vie » face aux acteurs financiers, pour protester contre la réaffectation au culte musulman de la basilique Sainte-Sophie d’Istanbul, pour inviter nos contemporains à « Servir un monde blessé dans la solidarité interreligieuse », etc.

Mais comme l’ont rappelé les œcuménistes « chevronnés » qui s’étaient réunis à Antélias, à la fin du mois de janvier 2020, pour chercher à exprimer « une vision œcuménique plus réactive et plus inclusive » dans le monde d’aujourd’hui, « il faut penser au-delà de l’œcuménisme institutionnel, en accordant plus d’attention que par le passé aux réseaux informels et à des coalitions plus éphémères ».

À côté des événements que nous venons d’évoquer, dont on trouvera un écho dans ce numéro, d’autres initiatives prises par de nouvelles générations méritent en effet de retenir notre attention. Parmi celles-ci, on retiendra notamment les prestations, diffusées sur la chaîne You Tube, de chorales virtuelles qui ont rassemblé au printemps de nombreux jeunes chrétiens provenant d’Églises bien différentes pour implorer la bénédiction de Dieu sur leur pays et sur le monde. C’est ainsi que près de 200 jeunes engagés dans une bonne centaine de communautés françaises, – catholiques, réformées, orthodoxes, pentecôtistes, etc. – ont chanté ensemble « Que le Seigneur te bénisse et te garde ! », le dimanche 31 mai 2020, jour de la Pentecôte.

Lorsqu’ils ont présenté « The Blessing » aux fidèles d’Elevation Church, une méga-Église baptiste du sud près de Charlotte, en Caroline du Nord, le 1er mars 2020, Kari Jobe, Cody Carnes, Steven Furtick et Chris Brown ne se doutaient pas que leur adaptation musicale de la bénédiction du livre des Nombres (Nb 6,24-26) allait faire le tour du monde ! Et pourtant, vite diffusée sur les réseaux sociaux, elle allait être reprise par l’un des pasteurs de l’Église Allegheny Center Alliance à Pittsburgh, qui organisa une chorale virtuelle pour chanter début avril la « Pittsburgh Blessing », premier rebond d’un phénoménal ricochet qui allait se poursuivre à l’Église Gas Street de Birmingham, en Angleterre, et sur tous les continents, y compris dans « le monde arabe ».

Sans doute le phénomène des chorales virtuelles ne se limite-t-il pas à cette initiative interconfessionnelle. Le besoin de se retrouver et de chanter ensemble s’est manifesté aussi sous des formes sécularisées, en ces semaines de confinement. Mais « The Blessing » montre à quel point la musique est devenue l’un des vecteurs principaux d’un nouvel œcuménisme, jeune, qui relie des chrétiens de toute appartenance. L’Église pentecôtiste d’origine australienne Hillsong en est évidemment une illustration emblématique…

Notre revue Istina, dont le centre qui la porte voit son centenaire approcher, n’ignore pas ce besoin de prendre acte des transformations profondes du paysage religieux et de rajeunir ses collaborations. D’une part, elle entreprend donc de renouveler le processus d’élaboration de ses numéros ; c’est l’occasion pour elle d’exprimer ici à nouveau sa gratitude au frère Hervé Legrand qui laisse la place à de plus jeunes au sein de son comité de rédaction. D’autre part, elle a le souci d’élargir son champ d’investigation et de donner la parole à de nouveaux chercheurs ; c’est le cas dans ce numéro qui rassemble à titre d’exemple les travaux académiques de quatre catholiques. D’origines et de traditions bien diverses, à travers le large spectre des recherches présentées, ils montrent eux aussi que, contrairement à une idée reçue, de jeunes prêtres se passionnent pour l’œcuménisme.

Istina