Éditorial 2022/3 : Dialoguer, jusqu’où ?

Les grands rassemblements de la Conférence de Lambeth et de la 11e Assemblée du Conseil œcuménique des Églises [COÉ], retardés par la pandémie, ont pu avoir lieu cet été 2022. Ils ont permis à des chrétiens de sensibilités fort diverses de dialoguer dans un climat international marqué par bien des divisions sociales ou politiques.

Certes, ces rencontres furent affectées par de fortes tensions qui ont rappelé les difficultés de ce dialogue. Lors de la Conférence de Lambeth, à propos de la rédaction de son Appel sur la dignité et l’identité humaines, d’âpres débats ont opposé les représentants de nombreuses provinces de la Communion anglicane qui « continuent d’affirmer que le mariage entre personnes du même sexe n’est pas autorisé » à ceux qui « ont béni et accueilli les unions / mariages entre personnes de même sexe ». Dans ce contexte, l’archevêque de Cantorbéry sut trouver les mots pour interroger les participants tentés par la rupture :

Osons-nous contribuer à l’obstruction du dessein de Dieu ? Nous sommes appelés par la grâce de Dieu, pas par notre choix. « Vous ne m’avez pas choisi, c’est moi qui vous ai choisis », dit Jésus dans Jean 15,16. Chacun d’entre nous est choisi non pas par notre volonté mais par la volonté de Dieu. C’est extraordinaire. Dieu savait si nous étions des personnes de couleur, ou blanches, ou si nous étions homosexuels ou hétérosexuels, si nous étions grands ou petits, si nous étions doués ou souffrions d’un quelconque handicap. Dieu savait tout cela. Et il a choisi de nous appeler.
Nous n’avons pas la liberté de choisir nos frères et sœurs. Bien sûr, nous avons des groupes qui ont des opinions différentes. Bien sûr, ils sont le cadeau de Dieu pour nous parce que leur point de vue différent va souvent nous défier et changer nos esprits ; il peut être prophétique, mais nous ne devons pas emprunter la voie de l’expulsion des autres chrétiens.

La 11e Assemblée du COÉ, tout en permettant aux représentants des 352 Églises membres de prier et réfléchir ensemble, fut aussi marquée par des tensions, en particulier celle suscitée par la présence de représentants du patriarcat de Moscou. Lors de la célébration d’ouverture, le président de la République d’Allemagne n’hésita pas à affirmer que cette présence ne devait pas être tenue pour acquise et à mettre en question le dialogue :

Les chrétiennes et les chrétiens sont sans cesse appelés à jeter des ponts. C’est et cela reste l’une de nos tâches les plus importantes. Or, pour jeter des ponts, il faut une volonté des deux côtés du fleuve ; on ne peut construire un pont si l’une des parties détruit les piliers qui le soutiennent. À l’approche de l’Assemblée, il a été indiqué que le dialogue devait à tout le moins être rendu possible. Très bien. Mais le dialogue n’est pas une fin en soi. Le dialogue doit faire la lumière sur ce qui se passe. Le dialogue doit attirer l’attention sur l’injustice, doit identifier les victimes et les auteurs des crimes — et leurs sbires. Or, le dialogue qui se borne aux vœux pieux et aux généralisations vagues peut, dans le pire des cas, devenir une plate-forme de justification et de propagande. Quelle sorte de dialogue nouerons-nous ici ?

En présentant son rapport, le secrétaire général par interim, Ioan Sauca, sut exposer les raisons de l’invitation de tous les protagonistes de la guerre en Ukraine. Tout en rappelant la condamnation sans équivoque par le Comité central, au mois de juin, de l’invasion russe et de sa justification par le primat de l’Église orthodoxe russe, il souligna les exigences du thème choisi pour l’Assemblée et la nature d’un organisme qui n’est ni une Église ni une communion d’Églises mais une plate-forme de dialogue :

Les disciples du Christ que nous sommes ont reçu le ministère de la réconciliation, et le thème de la 11e Assemblée du COÉ nous rappelle que l’amour du Christ mène le monde à la réconciliation et à l’unité. Il serait très facile d’utiliser le langage des politiques, mais nous avons pour vocation d’utiliser le langage de la foi, de notre foi. Il est facile d’exclure, d’excommunier et de diaboliser, mais nous avons pour vocation, au COÉ, de proposer une plate-forme libre et sûre pour nous rencontrer et dialoguer, de nous réunir pour nous écouter mutuellement, même si – même quand – nous sommes en désaccord. Cela a toujours été la manière de faire du COÉ. Je crois au pouvoir du dialogue dans le processus de réconciliation. Une paix imposée n’est pas une paix ; une paix n’est durable que si elle est juste. Une guerre ne peut être ni juste ni sainte. Tuer c’est tuer, et il faut passer par le dialogue et les négociations pour éviter cela.

Certes, les deux instances ne sont pas de même nature et les sujets d’affrontements que nous venons d’évoquer sont bien différents. Ils manifestent cependant l’importance actuelle des questions éthiques qui posent de nouveaux défis au mouvement œcuménique et la tentation, pour les chrétiens eux-mêmes, de sélectionner leurs partenaires de dialogue.

Notre numéro affronte lui aussi un sujet délicat, qui suscite bien des débats au sein des Églises et entre elles, celui du ministère ordonné confié à des femmes. Le dossier, qui l’aborde sous l’angle du diaconat, se concentre sur l’Église catholique et les Églises orientales. Il ne traite ni des Églises anglicanes et protestantes, marquées par un renouveau diaconal issu de la fondation d’instituts de diaconesses au XIXe siècle et par une ouverture progressive des femmes aux ministères ordonnés, ni de leur dialogue sur le triple ministère d’évêques, de prêtres et de diacres.

Malgré ces limites, les contributions de ce numéro montrent bien l’importance des données historiques dans les débats en cours, l’intérêt d’un ministère diaconal féminin et les résistances à l’accès des femmes à des responsabilités dans l’Église du Christ.

Istina