Le métropolite André Szeptyckyj présida de 1900 à 1944 aux destinées tourmentées de l’Église gréco-catholique ukrainienne. Inlassable avocat de sa communauté brimée par trois siècles de pressions religieuses et d’ostracisme conjugués, il posa les jalons de ce que l’on peut sans doute appeler un « pré-œcuménisme » catholique. Dès 1887, son intérêt pour la Russie orthodoxe l’avait conduit à rencontrer Vladimir Soloviev, prophète de l’« unitotalité ». Mais il témoigna de son attachement à l’Orthodoxie surtout dans les positions courageuses qu’il prit en 1938 en faveur des Ukrainiens orthodoxes de la province de Chelm persécutés par le gouvernement polonais.

Il serait anachronique de qualifier d’« œcuméniques » l’œuvre et la pensée du métropolite André. Sa conception de l’unité reste marquée par une rhétorique du « retour des dissidents » et un idéal qui, aujourd’hui, du point de vue œcuménique, « ne peut plus être accepté, ni en tant que méthode à suivre, ni en tant que modèle de l’unité recherchée par nos Églises » [1]. Et pourtant l’« union » qu’il envisage, et surtout l’esprit qui l’anime, ne sont plus ceux d’un « uniatisme » classique, entendu comme un ralliement autoritaire et uniformisant. En réalité, son attitude est caractéristique de l’évolution, en certains milieux catholiques de la première moitié du XXe siècle, de l’uniatisme à l’unionisme, puis de l’unionisme à l’œcuménisme [2].

Ainsi, pour le métropolite, l’union ne saurait être le fruit d’une « conversion » des uns aux positions des autres [3]. Dénonçant l’exercice latin de la « reductio graecorum », il ne conçoit l’unité que dans le respect de l’égale dignité des traditions, envisageant même, au soir de sa vie, une « Union des confessions orthodoxes avec les gréco-catholiques en vue de créer une nouvelle confession unique qui ne serait ni une Église orthodoxe ni une Église gréco-catholique » [4].

Soucieux de retrouver les sources orientales de son Église, il souhaite purifier sa liturgie des latinismes et fonder une vie religieuse dégagée du moule occidental – cela d’autant plus que, pour lui, « l’œuvre de l’union des Églises sera en grande partie l’œuvre du monachisme » [5].

Initiateur des Congrès de Velehrad qui réunissent des théologiens catholiques et orthodoxes, le métropolite y promeut la connaissance mutuelle dans un dialogue de vérité : « Nous désirons seulement, y déclare-t-il en 1910, que règne entre l’une et l’autre partie une charité mutuelle, un lien, une certaine concorde et une pratique amicale au lieu de la rivalité polémique qui dirige souvent contre de faux adversaires ses traits et ses coups ; nous souhaitons qu’une discussion sérieuse, une recherche, un travail scientifique soient peu à peu introduits » [6].

Convaincu enfin que l’union ne sera pas le fruit d’un accord entre diplomates ou experts, qu’elle viendra « non par un ordre venant d’en haut et non compris par les masses, mais plutôt par un mouvement d’idées » [7], le métropolite appelle à créer un mouvement d’opinion et de prière pour « demander à Dieu la grâce nécessaire pour cette conciliation » [8].

Ainsi, par bien des aspects, l’œuvre unioniste du métropolite André Szeptyckyj peut-elle être à juste titre considérée, selon l’expression du pape Jean-Paul II, comme « un véritable pas vers l’œcuménisme moderne » [9]. Ce pas de l’unionisme à l’œcuménisme, l’Église gréco-catholique a indubitablement pour vocation propre de le franchir et de le promouvoir, elle que le métropolite aimait à présenter comme « médiatrice » entre l’Orient et l’Occident [10].

Telle est bien la double mission, récemment soulignée par le pape Benoît XVI, de cette Église qui, « d’une part, […] a pour tâche de maintenir visible dans l’Église catholique la tradition orientale, et, d’autre part, de favoriser la rencontre des traditions, en témoignant non seulement de leur compatibilité, mais également de leur profonde unité dans la diversité » [11]. Une telle mission, visant moins à l’union des Églises qu’à l’unité des chrétiens, pourrait sans doute être reconnue par les orthodoxes eux-mêmes, comme le déclarait en 1988 celui qui était alors l’archevêque Cyrille (Gundiaev) de Smolensk : « Il faudrait examiner comment les uniates, élément de division jusqu’à présent, pourraient devenir un facteur d’unité… » [12].

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La présente livraison d’Istina propose, dans sa première partie, plusieurs articles issus d’un colloque intitulé « La quête de l’unité : Vladimir Soloviev et le Métropolite André Szeptyckyj ». Ce colloque, dédié à la mémoire de Monseigneur Bernard Dupire (1926-2005), directeur du Foyer culturel franco-russe de Paris pendant près de cinquante ans, fut préparé avec lui et s’est tenu le 5 novembre 2005 à Paris, au lendemain de son décès. Dans une deuxième partie, un dossier rassemblant plusieurs documents récents, d’origine catholique ou orthodoxe, relatifs à la question gréco-catholique permettra au lecteur de juger par lui-même des espoirs et des difficultés de la réception de la déclaration de Balamand. À la veille de la reprise du dialogue théologique entre les deux Églises, les « Éléments pour une éthique du dialogue catholique-orthodoxe » proposés par le Comité mixte catholique-orthodoxe en France paraissent plus que jamais d’actualité.

Istina

[1] Déclaration de Balamand (n°12), voir Istina 38 (1993), pp. 385-393, ici p. 388.

[2] Voir É. Fouilloux « De l’unionisme à l’œcuménisme », dans Comité mixte catholique-orthodoxe en France,Catholiques et orthodoxes : les enjeux de l’uniatisme. Dans le sillage de Balamand, Paris, Cerf, 2004, pp. 201-219.

[3] Actes du 1er Congrès de Velherad (1907), voir ci-dessous p. 125.

[4] À propos de l’Unité des Églises, avant-propos aux réponses aux intellectuels orthodoxes, mai 1942, voir ci-dessous p. 143.

[5] La renaissance du monachisme slave, voir ci-dessous, p. 131.

[6] Actes du 2e Congrès de Velehrad, Prague, 1910, voir ci-dessous, p. 134.

[7] Le rôle des Occidentaux dans l’œuvre de l’Union…, voir ci-dessous, p. 133.

[8] Appel d’André Szeptyckyj aux évêques ukrainiens dissidents, 30 décembre 1941, voir ci-dessous, p. 138.

[9] Jean-Paul II au sujet des Congrès de Velerhad, voir ci-dessous p. 142.

[10] Voir ci-dessous, pp. 120-121

[11] Voir ci-dessous, p. 193.

[12] Voir Istina 34 (1989), p. 407.