La fin de l’année 2006 a été marquée par d’importants événements dans les relations entre catholiques et orthodoxes : reprise du dialogue théologique international à Belgrade en septembre, visite du pape Benoît XVI au patriarche Bartholomée pour la fête de saint André, première visite officielle de l’archevêque Christodoulos d’Athènes à l’Église de Rome.

De tous ces événements, nul doute que la reprise du dialogue théologique marque une étape vraiment historique. Après six années d’interruption — en fait treize, car on ne saurait qualifier de retrouvailles la rencontre de Baltimore en 2000 — la Commission rassemble la quasi-totalité des Églises orthodoxes et travaille sur un thème des plus prometteurs : « Conciliarité et autorité dans l’Église ». La discussion porte sur un texte, dit « de Moscou », rédigé dès 1990 mais dont l’examen fut reporté en raison de la résurgence de la question de l’« uniatisme », liée à la renaissance des Églises gréco-catholiques en Europe de l’Est. Rattrapée par l’actualité, la Commission modifia son ordre du jour et adopta en 1993 à Balamand une déclaration qui marqua un pas historique dans les relations entre orthodoxes et catholiques, mais qui connut une réception difficile au sein des Églises. Cette difficulté de réception fit prendre conscience de la nécessité de traiter de l’uniatisme dans un cadre théologique plus large : le débat sur le type de primauté exercé par l’évêque de Rome dans l’Église entière, et donc de l’utilité de revenir à l’ordre du jour de 1990.

On ne peut donc que se réjouir de la reprise du dialogue théologique international, sur un thème qui est vraisemblablement la principale pierre d’achoppement entre orthodoxes et catholiques, sons la présidence de deux remarquables théologiens. Ce dialogue reste cependant fragile. Une des fragilités est mentionnée par Mgr Fortino dans la présente livraison d’Istina. « Une difficulté parmi les orthodoxes, dit-il, a été soulevée par la délégation russe, sur la façon de comprendre la taxis, ou l’ordre traditionnel entre les Églises orthodoxes, selon lequel le siège de Constantinople jouit d’une primauté d’honneur ». Il ajoute : « C’est une question interne à l’Église orthodoxe et, bien que les catholiques ne peuvent y prendre part, elle fait difficulté pour le dialogue lui-même »[1]. Certains théologiens se sont demandés dans quelle mesure cette question ne concernerait pas également les catholiques, dans la mesure où ceux-ci sont parfois tentés d’appliquer leur ecclésiologie à la réalité orthodoxe — par exemple en assimilant quelquefois, bien rapidement, le rôle du siège de Constantinople dans la communion des Églises orthodoxes à celui de Rome dans 1’Église catholique.

Ce débat interne à l’Église orthodoxe, et qui a son importance, ne sera probablement pas à l’ordre du jour de la prochaine rencontre de la Commission mixte, à Ravenne, en octobre 2007. Il serait regrettable qu’il occulte ou paralyse la discussion sur le rôle de l’évêque de Rome dans la communion des Églises. Le document « de Moscou », actuellement débattu, est présenté comme un préalable à cette discussion : aussi ne faut-il pas s’attendre à ce que l’assemblée de Ravenne règle ce contentieux plus que millénaire. Du moins pourrait-elle jeter les bases d’un futur dialogue sur ce point litigieux.

Depuis que le pape Jean-Paul II, dans son encyclique Ut unum sint, pria « L’Esprit Saint de nous donner sa lumière et d’éclairer tous les pasteurs et théologiens de nos Églises, afin que nous puissions chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d’amour reconnu par les uns et par les autres »[2], bien des études ont été menées, tant sur la doctrine de la primauté que sur l’exercice de celle-ci. Une contribution essentielle a été fournie par le cardinal Kasper lui-même, dans ses « Principes herméneutiques pour la relecture des dogmes de Vatican I »[3].

Signalons également, parmi bien d’autres, les travaux du Groupe Saint-Irénée qui rassemble, sur le modèle du Groupe des Dombes, des théologiens orthodoxes et catholiques, et dont la dernière rencontre (novembre 2006) avait pour thème : « La doctrine et la pratique de la primauté au premier millénaire »[4]. Le Groupe de travail étudia divers exemples significatifs de cette période, tels les canons de Sardique (343), élaborés en commun par l’Orient et l’Occident, et qui accordèrent à l’évêque de Rome le droit d’exiger un nouveau jugement, dans une juridiction différente, au cas où l’on faisait appel à lui. L’étude des lettres du pape Grégoire le Grand aux quatre patriarches orientaux se révéla également éclairante. Le communiqué final du Groupe souligne que « ces figures ne peuvent pas être généralisées ou transposées telles quelles à notre époque », qu’il n’existe d’ailleurs pas, au premier millénaire, « d’acception univoque de la primauté romaine », ni même « de conception unifiée de l’ecclésiologie ». Pourtant, conclut-il, « la conscience commune n’en reconnaissait pas moins que l’évêque de Rome jouait un rôle primatial dans l’Église entière ».

Istina

[1] Voir ici, p. 342.

[2] Ut unum sint 95.

[3] Voir Istina 50 (2005), p. 341-352.

[4] Voir ici, p. 416-418.