Le dialogue est inhérent à la méthode œcuménique. Dans un article de 1960 intitulé « Le dialogue, loi du travail œcuménique, structure de l’intelligence humaine » le père Yves Congar pouvait ainsi présenter le dialogue œcuménique comme la recherche de « l’intention de vérité » en laquelle les interlocuteurs peuvent communier [1]. Pourtant, la multiplication des dialogues théologiques – l’Église catholique en entretient aujourd’hui une quinzaine – et des déclarations d’accords fait l’objet actuellement de certaines critiques dont la principale semble provenir de la lenteur et de la minceur des conséquences visibles que les Églises qui les avaient mandatés en ont tirées. C’est à un tel sentiment que le cardinal Kasper a fait publiquement écho en septembre 2007 à Sibiu, en constatant que la « méthode utilisée jusqu’à présent, consistant à souligner les points de convergence […] a perdu, avec le temps, de son efficacité ; aujourd’hui nous n’avançons plus guère sur cette voie » [2].

Le cardinal Ratzinger, il y a quelques années, constatait lui-même la lenteur inhérente à la méthode qui semblait avoir été privilégiée, regrettant que « toutes les tentatives de réunification fondées sur des négociations et des dialogues ont stagné » [3]. Celui qui était alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi voyait dans cette situation la conséquence d’une inversion de la relation entre vérité et consensus : « la confession de foi n’est plus alors l’expression de la vérité, mais le fruit du consensus ». Ce désenchantement à l’égard des dialogues de consensus doctrinal et dogmatique devait-il, pour autant, conduire à « esquisser un modèle œcuménique qui comporte l’acceptation mutuelle de la division et la venue à la rencontre de l’autre précisément dans la division » [4] ? Le futur pape reconnaissait avoir été attiré par cette approche, dans une proximité de pensée avec Oscar Cullmann [5] : « Il y a quelques années, j’ai cru pouvoir interpréter 1 Co 11, 19 [6] en ce sens que la division n’est pas seulement un mal créé par nous et donc aussi à éliminer par nous, mais qu’une sorte d’exigence divine [ein Göttliches ‘Muβ’] peut lui être inhérente : la séparation est nécessaire à notre purification [7]. Nous devons tout faire pour redevenir capables, dignes de l’unité, et ne plus avoir besoin, pour ainsi dire, du fléau de la division » [8].

Le cardinal Ratzinger n’a, évidemment, jamais voulu renoncer à l’« œcu-ménisme des consensus », parce que l’unité ne pourra pas se faire si l’on ne se retrouve pas unis dans la vérité, et aussi parce que la méthode des dialogues doctrinaux se révèle aussi indispensable que fructueuse pour dépasser les considérables incompréhensions réciproques qui demeurent. Le cardinal, qui joua un rôle décisif dans la Déclaration commune sur la justification (1999) appliquant la méthode du « consensus différencié », n’a certainement pas non plus renoncé au modèle d’« unité par la diversité ». Mais dans la dernière phase de sa réflexion, le futur pape a su apporter une note originale sur le chemin de l’avancée œcuménique en mettant en valeur ce que serait également un « modèle praxéologique » marqué par une certaine modestie : « Les entretiens devraient être menés d’une manière beaucoup plus dégagée, moins orientée vers le succès, d’une manière ‘plus humble’, avec grande sérénité et patience. Il n’est pas nécessaire que cela mène toujours à un papier de consensus […] Nous devrions apprendre du modèle ‘praxéologique’ – comme je l’appellerais – la patience dogmatique, sans tomber dans l’indifférence face à la vérité et à son expression verbale. Nous devrions faire nôtre la disponibilité à accepter des formes de la diversité qui sont d’une grande portée, sans favoriser la suffisance ou le contentement de soi » [9].

Le présent numéro d’Istina contient plusieurs articles illustrant ce que pourrait être ce modèle « praxéologique » que le cardinal Ratzinger appelait de ses vœux. Dans un article consacré au « modèle » du Concile de Sardique (341), Hervé Legrand propose une approche « procédurale » de la primauté romaine qui pourrait rejoindre les préoccupations de la commission mixte internationale catholique-orthodoxe – dont les travaux portent précisément sur l’exercice et la conception de la primauté au premier millénaire. Michel Mallèvre, de son côté, analyse la conception de l’œcuménisme comme « échange de dons » chez le pape Jean-Paul II. Comme le montre l’étude de cette expression, il ne s’agissait pas, pour le pape défunt, d’une conception du dialogue permettant à chacun de rester campé dans son identité, mais de la conviction anthropologique, d’inspiration personnaliste, que seul le dialogue peut permettre à l’homme de se trouver lui-même en progressant dans la vérité. À l’image des relations entre les personnes de la Trinité, la vocation de l’homme est de se donner tout entier, et les communautés humaines, comme chaque personne, ont besoin du dialogue pour devenir pleinement ce qu’elles sont. L’échange de don devient alors un véritable « dialogue de la conversion » et donc, selon l’expression du Pape Paul VI, un « dialogue du salut » [10].

Hyacinthe Destivelle, o.p.

  1. Y. Congar, Chrétiens en dialogue, Paris, Cerf, p. 1-17, ici p. 9.
  2. W. Kasper, « La lumière du Christ et l’Église », discours du 5 septembre 2007 à Sibiu », http ://www.eea3.org.
  3. J. Ratzinger, « À propos de la situation de l’œcuménisme », Faire route avec Dieu, Paris, Parole et Silence, 2005, p. 237-252, ici p. 241.
  4. Ibidem, p. 242 et 243.
  5. O. Cullmann, L’unité par la diversité, Paris, Cerf, coll. « Théologies », 1986.
  6. 1Co 11,19 : « Il faut bien qu’il y ait aussi des scissions parmi vous pour permettre aux hommes éprouvés de se manifester parmi vous ».
  7. J. Ratzinger, L’Église, œcuménisme et politique, Paris, Fayard, 1987, p. 183-193.
  8. J. Ratzinger, « À propos de la situation de l’œcuménisme », p. 241-242.
  9. Ibidem, p. 249.
  10. Ecclesiam suam, III.