Le mouvement pour l’unité des chrétiens fut désigné dans l’Église catholique par des expressions diverses qui en reflétèrent les conceptions successives. Si l’on met de côté le terme « uniatisme », qui servit à désigner la méthode d’union pratiquée jusqu’au XIXe siècle par l’Église catholique, ou celui d’« irénisme » utilisé par celle-ci pour condamner les initiatives d’origines protestantes ou anglicanes du début du XXe siècle, le terme officiel de l’Église catholique pour qualifier ses efforts pour l’unité fut, jusqu’au concile Vatican II, l’« unionisme ». Celui-ci, comme l’uniatisme d’ailleurs, appelait une unité conçue comme le retour à Rome des chrétiens, surtout d’Orient, qualifiés de « dissidents » mais reconnus dans leurs institutions et traditions propres. Contrairement à l’uniatisme cependant, ces traditions propres n’étaient plus subordonnées au modèle latin, mais valorisées par l’unionisme, notamment sous les pontificats de Léon XIII, de Benoît XV ou de Pie XI, comme autant d’expressions légitimes de la tradition apostolique et de l’« unité catholique ».

Le terme « œcuménisme », né dans les années 1920 en milieu protestant, désignait un mouvement qui ne s’inscrivait pas dans une problématique du « retour », ni d’une union ou d’une alliance d’Églises, mais visait à une unité, sans modèle préconçu, de l’ensemble des baptisés par une triple approche : pratique, théologique et spirituelle. Le terme fut loin d’être accepté immédiatement par l’Église catholique. En 1928, l’encyclique Mortalium animos, sans employer le terme, condamnait les objectifs et les méthodes des « panchrétiens ». Cependant, en 1937, le dominicain Yves Congar, dans son livre Chrétiens désunis, émit, avec des guillemets, la possibilité d’un « “œcuménisme” catholique ». L’usage du terme témoignait du constat du « lien entre les schismes » : le « schisme oriental » expliquerait en grande partie le « schisme d’Occident », lequel aurait grandement contribué à creuser le fossé, ou l’« estrangement », avec les orientaux. D’où la nécessité d’une approche globale de la question de l’unité, différente de la méthode unioniste. Après la Deuxième guerre mondiale, si le terme « unionisme » disparut peu à peu du langage officiel, celui d’« œcuménisme », qui restait associé au protestantisme, ne fut pas encore utilisé officiellement dans les milieux catholiques, où l’on préférait parler du « Mouvement catholique pour l’unité chrétienne ».

Le terme « œcuménisme » ne reçut officiellement ses lettres de crédit dans l’Église catholique qu’avec le décret Unitatis redintegratio du 21 novembre 1964. Celui-ci jetait les fondements, non plus des « principes d’un œcuménisme catholique », mais des « principes catholiques de l’œcuménisme », selon l’expression même de son premier chapitre : « De catholicis œcumenismi principiis ». Le rajout du « s » à l’adjectif « catholici » témoignait de la reconnaissance par l’Église catholique du fait que le mouvement pour l’unité chrétienne était un et indivisible, même si les Églises pouvaient avoir à son égard leurs principes propres. Cette reconnaissance du caractère « indissociable » des questions œcuméniques se traduisit institutionnellement par l’érection d’un unique dicastère romain responsable des relations avec l’ensemble des partenaires chrétiens – celui-ci, cependant, n’utilisa pas dans son titre le terme « œcuménique » mais l’expression « promotion de l’unité des chrétiens » : Secretarius ad christianorum unitatem fovendam.

Pourtant, assez rapidement après le Concile, certains œcuménistes catholiques semblèrent regretter une insuffisante distinction des problématiques. Ainsi, le Père Dumont, qui avait pourtant été l’un des premiers à réclamer une approche globale de la question de l’unité, se montra préoccupé par ce qui lui sembla être une trop grande polarisation du Concile sur la question protestante par rapport à la question orthodoxe, expliquant qu’il y a « entre ces deux problèmes, au-delà d’une différence de degrés dans la séparation, une différence de nature ». Cette préoccupation ira jusqu’à lui faire regretter le remplacement du terme d’unionisme (évidemment compris dans le sens « irénique » qu’il acquit à la fin des années 1930) par celui d’œcuménisme en ce qui concerne les Églises orthodoxes (1).

Aujourd’hui, ce que l’on a coutume d’appeler la « crise de l’œcuménisme » semble bien résulter de la prédominance d’une approche multilatérale de la question de l’unité qui serait insuffisamment soucieuse de distinguer les problématiques. Le retour en scène des Églises orthodoxes d’Europe centrale et orientale a d’ailleurs donné au dialogue avec elles, et à ses spécificités, une nouvelle actualité. En même temps, si les problématiques doivent être distinguées, jamais on a pris autant conscience que leurs méthodes pouvaient être transposées avec profit d’un dialogue théologique à l’autre. Ainsi, il y a dix ans, la Déclaration commune sur la doctrine de la justification adoptée par l’Église catholique et la Fédération luthérienne mondiale (Augsbourg, 1999) adoptait avec succès la méthode du « consensus différencié », qui consistait dans la reconnaissance que l’unité de la foi pouvait être portée par « une différence de langages, de formes théologiques (Denkform) et d’accentuations particulières ». Cette méthodologie pourrait être appliquée avec fruit au dialogue catholique-orthodoxe en cours qui devrait aboutir à une nouvelle herméneutique des dogmes promulgués par le Concile Vatican I. « Distinguer sans dissocier » était le leitmotiv des pionniers catholiques de l’œcuménisme. Il est plus que jamais d’actualité.

Istina

1. Cf. ici p. 288. Cette préoccupation fut partagée par Y. Congar, cf. ici p. 294.