Aujourd’hui bien oublié au profit de l’édit de Milan de 313 qui en élargit la portée, celui de Sardique, promulgué deux ans plus tôt, ouvrit une période nouvelle dans l’histoire du christianisme, désormais toléré dans l’empire romain. Un récent colloque a rappelé l’importance de cette loi dans l’histoire de la tolérance religieuse.

Depuis le IVe siècle, il est vrai, les Églises ont longtemps usé et abusé de leur situation progressivement privilégiée. Au point qu’elles apparaissent souvent comme des symboles d’intolérance, voire même comme des facteurs de violence. Bien des chrétiens en ont pris conscience, et certains parfois n’hésitent pas à dénoncer la « conversion de Constantin » comme l’origine d’une perversion du christianisme ! Sans aller jusqu’à une telle dénonciation, des Églises d’Europe, il y a dix ans, s’étaient engagées ensemble à promouvoir sur la base de leur foi chrétienne « une Europe humaine et sociale, dans laquelle s’imposent les droits de l’homme et les valeurs fondamentales de la paix, de la justice, de la liberté, de la tolérance, de la participation et de la solidarité » (Charte œcuménique européenne §7). Un autre colloque anniversaire nous a rappelé cet engagement encore trop peu connu et mis en œuvre.

Dans ce contexte, la célébration annoncée du jubilé de l’édit de Milan ne saurait être aisée. Surtout peut-être dans cette Serbie meurtrie, où naquirent les deux empereurs Gallien et Constantin, dont les édits eurent l’importance que l’on a rappelée. Et l’on comprend que le patriarche Irénée ait exprimé sa volonté d’en faire moins un événement commémoratif que des « journées de rencontre dans la Vérité et dans l’Amour, des journées de repentir, de pardon et de réconciliation », et ainsi une modeste « anticipation du Royaume céleste ». Du moins, selon le souhait du patriarche de Serbie, la célébration pourrait être l’occasion « de réexaminer la place de l’Église et des communautés religieuses au sein de l’Europe contemporaine, c’est-à-dire d’analyser la question de la liberté religieuse et de l’égalité des droits dans le contexte historique contemporain et d’actualiser ainsi l’édit de Milan ».

C’est avec le souci de contribuer à la réflexion autour de l’anniversaire de l’édit de Milan que cette livraison d’Istina présente quelques défis auxquels doit faire face l’Église orthodoxe serbe. Nous poursuivons ainsi la publication de dossiers sur les Églises orthodoxes confrontées aux transformations socio-politiques des pays où elles ont leurs racines et aux mutations du paysage religieux mondial dans lequel elles s’insèrent. Les contributions présentées ici nous rappellent la complexité de la situation dans laquelle l’Église serbe cherche une voie délicate entre un enracinement traditionnel et une ouverture œcuménique.

Ce dossier s’inscrit aussi sur l’arrière-fond de la rencontre et de la réconciliation que cherche à promouvoir le dialogue international officiel catholique – orthodoxe, dont les dernières réunions ont tempéré les enthousiasmes suscités par le document adopté à Ravenne en 2007. La réponse de la consultation théologique nord-américaine catholique-orthodoxe à ce document, présentée dans ce numéro, était déjà nuancée. Jusqu’à présent inédite en français, elle appelle notamment les partenaires à mieux prendre en compte l’autorité de l’ensemble des baptisés. En demandant le remaniement du document de travail traitant du « rôle de l’évêque de Rome dans la communion de l’Église au premier millénaire », la récente réunion de la commission internationale, à Vienne en septembre 2010, a également a mis en évidence la difficulté pour les Églises de relire ensemble leur histoire commune et, à sa lumière, de réfléchir théologiquement aux défis communs qu’elles ont à affronter dans un tout autre contexte que celui du premier millénaire.

Malgré ce ralentissement, le dialogue entre l’Église catholique et les Églises orthodoxes se poursuit. Les récentes visites en France des patriarches Bartholomée Ier de Constantinople et Daniel de Roumanie ont montré aussi que les responsables d’Églises ne se résignent pas à ces difficultés et sont bien conscients de la nécessité d’un témoignage commun des chrétiens dans une Europe marquée par la sécularisation, où l’héritage de l’édit de Milan a été vécu et est perçu bien différemment selon les pays. Mais ils savent combien une meilleure connaissance mutuelle est nécessaire pour créer les conditions d’un dialogue fructueux entre théologiens et d’une nécessaire réception de leurs conclusions. À sa manière, comme les précédents montrant les évolutions internes aux Églises, notre dossier sur l’Église orthodoxe serbe voudrait modestement y contribuer.

Istina