Le voyage de Benoît XVI dans son pays, du 22 au 25 septembre 2011, était d’autant plus attendu qu’il avait voulu lui donner une forte coloration œcuménique. Beaucoup espéraient qu’il ferait un geste significatif au moment où se prépare le 500e anniversaire de la Réforme. En vain. À l’encontre de ce qu’il estimait être une « mauvaise compréhension politique de la foi et de l’œcuménisme », le pape a rappelé lors de la célébration œcuménique d’Erfurt que l’unité ne saurait être le fruit de compromis et qu’elle « grandit seulement en pénétrant toujours plus profondément dans la foi grâce à la pensée et à la vie. »

À l’occasion de ce voyage, Benoît XVI a, de fait, à nouveau insisté sur la nécessité pour les chrétiens d’approfondir ensemble ce qui les unit et d’en témoigner dans une Europe dont le christianisme a contribué à modeler l’identité. À Berlin, devant le Bundestag, rappelant les fondements de l’État de droit libéral, il déclarait : « À ce point, le patrimoine culturel de l’Europe devrait nous venir en aide. Sur la base de la conviction de l’existence d’un Dieu créateur se sont développées l’idée des droits de l’homme, l’idée d’égalité de tous les hommes devant la loi, la connaissance de l’inviolabilité de la dignité humaine en chaque personne et la conscience de la responsabilité des hommes pour leur agir. Ces connaissances de la raison constituent notre mémoire culturelle. L’ignorer ou la considérer comme simple passé serait une amputation de notre culture dans son ensemble et la priverait de son intégralité. La culture de l’Europe est née de la rencontre entre Jérusalem, Athènes et Rome – de la rencontre entre la foi au Dieu d’Israël, la raison philosophique des Grecs et la pensée juridique de Rome. Cette triple rencontre forme l’identité profonde de l’Europe. Dans la conscience de la responsabilité de l’homme devant Dieu et dans la reconnaissance de la dignité inviolable de l’homme, de tout homme, cette rencontre a fixé des critères du droit, et les défendre est notre tâche en ce moment historique. »

C’est sur l’arrière-fond de cette conviction du pape qu’il faut relire ses paroles adressées aux représentants des diverses confessions chrétiennes, notamment son discours à ceux de l’Église évangélique d’Allemagne. Après avoir souligné la profondeur et l’actualité de la quête intérieure de Luther, Benoît XVI affirmait : « la chose la plus nécessaire pour l’œcuménisme est par-dessus tout que, sous la pression de la sécularisation, nous ne perdions pas presque par inadvertance les grandes choses que nous avons en commun, qui en elles-mêmes nous rendent chrétiens et qui sont restées comme don et devoir. C’était l’erreur de l’âge confessionnel d’avoir vu en majeure partie seulement ce qui sépare, et de ne pas avoir perçu de façon existentielle ce que nous avons en commun dans les grandes directives de la Sainte Écriture et dans les professions de foi du christianisme antique. Le grand progrès œcuménique des dernières décennies est pour moi, que nous nous soyons rendu compte de cette communion, que nous pouvons la reconnaître comme notre fondement commun et impérissable dans la prière et le chant communs, dans l’engagement commun pour l’ethos chrétien face au monde, dans le témoignage commun du Dieu de Jésus Christ en ce monde. »

Et le pape de mentionner alors deux défis, où l’on peut percevoir une inquiétude devant l’évolution actuelle du monde protestant. D’abord celui de la montée du courant évangélique pentecôtiste à l’origine du Forum chrétien mondial, dont la deuxième assemblée internationale s’est réunie, du 4 au 7 octobre 2011 à Manado en Indonésie. Tout en reconnaissant son dynamisme missionnaire qui nous pousse à nous interroger sur « ce qui demeure toujours valable et ce qui peut ou doit être changé par rapport à la question de notre choix fondamental dans la foi », le pape a souligné également sa « faible densité institutionnelle, avec peu de bagage rationnel et encore moins de bagage dogmatique ». Puis Benoît XVI a évoqué le défi de la sécularisation en Europe, qui peut gagner insidieusement les communautés ecclésiales elles-mêmes : « Faut-il céder à la pression de la sécularisation, devenir modernes moyennant une édulcoration de la foi ? La foi doit être repensée, naturellement (…) mais ce n’est pas l’édulcoration de la foi qui aide, c’est seulement le fait de la vivre entièrement dans notre aujourd’hui. C’est une tâche œcuménique centrale dans laquelle nous devrions nous entraider. » En regard de cette double inquiétude, on remarquera la chaleur avec laquelle Benoît XVI a salué les représentants des Églises orientales, soulignant la proximité de l’orthodoxie avec l’Église catholique, exprimant son espérance « que ne soit pas si loin le jour où nous pourrons de nouveau célébrer l’Eucharistie ensemble », et regardant avec sympathie le développement de ses communautés qui contribuent à « rendre plus vivant le patrimoine des cultures chrétiennes et de la foi chrétienne en Europe. »

En se penchant précisément sur un grand pays de tradition orthodoxe, cette livraison d’Istina traite aussi de l’apport du christianisme à l’identité européenne, en reprenant une partie des interventions faites lors d’un colloque organisé du 17 au 19 septembre 2010, à Helsinki par le Studium Catholicum, sur le thème « Christianisme et identité politique en Occident latin et en Orient byzantin. » Comme le rappelait son organisateur le frère Antoine Lévy o.p., il s’agissait d’étudier comment le développement du christianisme dans le monde byzantin a contribué à modeler la logique du fonctionnement politique en Russie. De l’ensemble des contributions à ce colloque stimulant, nous n’avons pu retenir que celles traitant directement de ce pays et la synthèse qui esquisse une réponse à la question méthodologique : dans quelle mesure une comparaison entre les destinées parallèles du « christianisme d’État » dans le monde byzantin et dans le monde latin permet-elle de rendre compte des tensions actuelles entre la Russie et l’Occident ? Nous continuons ainsi à explorer comment le christianisme a contribué à façonner le cadre socio-politique dans lequel nous vivons et sommes appelés à témoigner ensemble de notre foi.

Istina