Moins de deux mois après l’Allemagne, lieu symbolique de la division de la chrétienté d’Occident au XVIe siècle, le pape Benoît XVI vient de se rendre en Afrique, continent où le christianisme est en pleine expansion et voit surgir de nouveaux visages d’Église.

Sans doute ces voyages ont-ils d’autres motifs pastoraux immédiats que les transformations rapides du paysage religieux qui affectent le mouvement œcuménique. Pour l’observateur de ce dernier, il est cependant inévitable de les rapprocher. Un tel rapprochement conduit d’abord au constat de la très faible place accordée au dialogue entre les confessions chrétiennes lors du voyage du pape au Bénin, à la différence de son précédent déplacement. Certes, l’Afrique n’a ni la mémoire des blessures ni l’expérience œcuménique de l’Europe, surtout de la patrie de Luther. La diversité confessionnelle y est quand même bien réelle : pour nous en tenir à la seule Afrique de l’Ouest, dont le Bénin fait partie, sur quelques cent dix millions de chrétiens, soit environ 36 % de la population, les catholiques n’en représentent que 11,6 %, soit à peu près autant que de membres de dénominations protestantes et que ceux des communautés indépendantes… Il est vrai que l’Islam et les Religions traditionnelles gardent encore en cette région du continent un poids plus important, justifiant la place accordée par Benoît XVI au dialogue interreligieux, en particulier quelques semaines après avoir célébré, avec « des pèlerins de la vérité, des pèlerins de la paix », le vint-cinquième anniversaire de la première rencontre d’Assise.

L’exhortation apostolique Africae munus, qu’il vient de signer à l’occasion de ce voyage, accorde trois paragraphes au dialogue œcuménique. Il y rappelle d’abord la participation de représentants d’autres confessions au Synode spécial pour l’Afrique de 2009 et encourage l’ensemble des catholiques du continent à s’engager de manière plus résolue sur le chemin de l’unité (§ 89). Le paragraphe le plus neuf est sans doute celui qui, ensuite, traite des « communautés non-catholiques appelées parfois aussi autochtones africaines (African Independent Churches) », dont le pape remarque qu’elles « ont récemment fait leur apparition dans le panorama œcuménique ». De fait, bien que les plus anciennes soient nées au moment où les missionnaires catholiques arrivaient au Bénin, la première d’entre elles à entrer au Conseil œcuménique des Églises, en 1969, fut l’Église de Jésus Christ sur la terre par son envoyé spécial Simon Kimbangu, et le premier grand dialogue entre ces communautés et une communion mondiale fut celui ouvert par l’Alliance réformée mondiale, de 1998 à 2002, soit une quinzaine d’années après qu’elles ne se dotent d’un organe représentatif : l’Organisation des Églises africaines instituées (OAIC), fondée seulement en 1982. Quoiqu’il en soit, on retiendra cette invitation du pape : « Les pasteurs de l’Église catholique devront tenir compte de cette nouvelle réalité pour la promotion de l’unité des chrétiens en Afrique » (§ 90). On remarquera aussi que le pape distingue nettement ces Églises indépendantes de « nombreux mouvements syncrétistes et des sectes », dont il constate qu’il est « parfois difficile de discerner s’ils sont d’inspiration authentiquement chrétienne ou s’ils sont simplement le fruit d’un engouement pour un leader prétendant avoir des dons exceptionnels » et dont il souligne qu’elles exploitent souvent la crédulité des populations et suscitent bien des divisions au sein des familles (§ 91). Mais les unes comme les autres invitent à une réflexion des pasteurs catholiques appelés à renouveler leur pastorale pour apporter une « évangélisation en profondeur de l’âme africaine » (ibid.)

Sans doute conviendra-t-il qu’Istina revienne plus longuement sur le continent africain et les nouveaux aspects de la réalité interconfessionnelle qu’il illustre. Ce numéro propose un autre chemin de renouvellement en donnant la parole à des voix un peu discordantes de celles que nous entendons habituellement. D’abord, celle du professeur Pantelis Kalaïtzidis qui, du sein de l’orthodoxie, émet des réserves sur la fécondité du « courant néo-patristique ». En invitant son Église à se situer autrement en dialogue avec le monde moderne, il suggère que ce dialogue pourrait offrir de nouveaux lieux de rencontre pour le mouvement œcuménique. Ensuite, nous entendrons la voix du rabbin Marc Kinzer, juif messianique, interpeller l’Église catholique dans sa réflexion sur l’Église, Peuple de Dieu et Corps du Christ, et donc sur son rapport à Israël. Sans doute sa lecture de la Constitution Lumen gentium pourra-t-elle être parfois contestée par l’ecclésiologue catholique. L’intérêt de cette contribution est au moins de nous inviter à réfléchir à nouveau sur l’articulation de la pérennité de l’Alliance de Dieu avec son peuple et de la nouveauté du salut en Yeshoua. L’intérêt est aussi d’entendre la voix de ces juifs qui à la fois revendiquent leur identité et confessent Jésus comme Messie. Pas plus que le colloque organisé en juin 2011 au Centre Istina, sur le thème « Ha-am Israel, notre peuple », par la Conférence d’Helsinki sur la continuité juive au sein du Corps de Jésus le Messie, la publication de cet article ne saurait signifier un abandon des orientations données à cette revue par le frère Bernard Dupuy. Il s’agit seulement de prendre acte d’une réalité, sans bien sûr cautionner les débordements de certains groupes. Il s’agit surtout de ne pas oublier que c’est en se tournant ensemble vers leurs racines juives que les chrétiens pourront sans doute trouver de nouveaux chemins vers l’unité.

Istina