À Belfort, le dimanche 20 mai 2012, au terme de leurs synodes conjoints, l’Église réformée de France et lʼÉglise évangélique luthérienne de France ont décidé de devenir « l’Eglise protestante unie de France – Communion luthérienne et réformée », dont le premier synode national aura lieu dans un an à Lyon. Sans doute une telle union est-elle le fruit d’un long processus et a-t-elle été précédée, en 2006, par la constitution de « l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine ». Mais la naissance de l’EPUF ne scelle pas seulement l’unité de deux traditions protestantes naguère séparées. Elle entend surtout mettre en œuvre un modèle ecclésiologique qui réalise une véritable communion d’Églises avec un organe commun de gouvernement tout en préservant l’identité de chacune de ses composantes. En ce sens, elle a une portée œcuménique qui devrait avoir un impact en Europe sur les autres signataires de la Concorde de Leuenberg.

Dans une conjoncture difficile pour toutes les grandes Églises du continent, une telle décision pourrait apparaître comme une mesure de survie. Prévenant une telle analyse, les présidents des deux Églises bientôt unies rappelaient dans leur message : « si le synode de Sochaux, réuni en 2007, a fait le choix d’engager le processus d’union, c’est pour une seule raison et c’est la bonne raison, qu’il a exposée ainsi : “en vue d’un meilleur témoignage de l’Évangile”. » Et de préciser : « Nous sommes appelés à être attestataires, c’est-à-dire à être témoins de l’Evangile de Jésus-Christ. Sans être identitaires, c’est-à-dire sans chercher à convertir à notre manière d’être, à conquérir des territoires, des implantations ou des effectifs. »

Sans doute un tel exposé des motifs entend-il démarquer les deux Églises signataires d’autres sensibilités protestantes. Reste qu’il redit, à sa manière, ce que toutes les Églises sont tentées d’oublier : qu’elles ne sont pas leur propre fin. Il y a soixante ans, la conférence missionnaire mondiale de Willingen avait déjà constitué à cet égard un tournant en rappelant, à travers l’idée centrale de Missio Dei, que le but de la mission ne saurait être la « plantation de l’Église », mais l’avènement du Royaume de Dieu. Trente ans plus tard, en 1982, la Commission Mission et évangélisation du COE avait produit un important document, « La mission et l’évangélisation – affirmation œcuménique », qui cherchait à exprimer une vision équilibrée réconciliant diverses sensibilités chrétiennes issues de cette conférence. Très prochainement, une nouvelle déclaration intitulée « Ensemble vers la vie – Mission et évangélisation dans des contextes en mutation » sera soumise à l’approbation du Comité central du COE en vue d’être présenté à la dixième Assemblée, à Busan (Corée), en 2013.

La réflexion missionnaire est aussi présente dans l’Église catholique, marquée par la crise de la transmission de la foi en Occident et par la prise de conscience accrue que l’évangélisation n’est jamais un fait acquis, quel que soit le continent. Le prochain synode des évêques, réuni à Rome du 7 au 28 octobre 2012, traitera de « la nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne ». Si l’on en croit l’Instrumentum laboris, qui propose une synthèse des réponses des évêques au questionnaire accompagnant les Lineamenta, la dimension œcuménique ne devrait pas être absente. Ce document de travail constate en effet : « la nouveauté des cadres dans lesquels nous sommes appelés, en tant que chrétiens, à vivre notre foi et à annoncer l’Évangile, a mis encore davantage en lumière la nécessité d’une unité réelle entre les chrétiens. Celle-ci ne doit pas être confondue avec la simple cordialité des rapports ou avec la coopération sur tel ou tel projet commun, mais plutôt comme l’aspiration à se laisser transformer par l’Esprit pour pouvoir être toujours plus conforme à l’image du Christ. […] La conversion et le renouvellement de l’Église auxquels nous sommes appelés par la crise actuelle ne peuvent pas ne pas avoir ce contenu œcuménique : ce qui signifie qu’il faut soutenir avec conviction l’effort de voir tous les chrétiens unis pour montrer au monde la force prophétique et transformatrice du message évangélique. » (§72)

Cette conviction était bien sûr déjà fortement affirmée par le Concile Vatican II, dont on célèbre le cinquantième anniversaire de l’ouverture. Pour éclairer cet événement qui eut un écho considérable, bien au-delà des frontières de l’Église catholique, nous disposons de l’apport d’historiens qui exhument progressivement des archives des documents peu ou pas connus laissés par ses grands acteurs. Ce numéro voudrait y contribuer, en évoquant à travers l’apport de quelques uns d’entre eux, trois moments du cheminement vers l’unité : l’avant Concile, avec les aspirations du futur cardinal Tisserant pour les Églises orientales catholiques ; le temps du Concile et ses lendemains immédiats, avec la contribution du futur cardinal Willebrands au rêve de concélébration de Paul VI et Athénagoras ; les années du pontificat de Jean-Paul II, avec l’apport du Père Tillard notamment à la rédaction de l’encyclique Ut unum sint. Le lecteur d’Istina pourra ainsi mesurer les avancées œcuméniques dont nous bénéficions aujourd’hui, tout en se rappelant les grands espoirs vécus il y a un demi siècle et les pesanteurs d’alors qui relativisent celles d’aujourd’hui

Istina