La renonciation du pape Benoît XVI à exercer son ministère et l’élection, le 13 mars 2013, du cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio devenu pape François ont prolongé de manière inattendue le changement de génération à la tête des Églises, après l’élection de Nourhan Manoukian comme 97e patriarche arménien de Jérusalem, puis celle du patriarche Néophyte de l’Église orthodoxe de Bulgarie et celle d’Abuna Matthias comme patriarche de l’Église orthodoxe Tewahedo d’Éthiopie, sans oublier l’installation le 21 mars de Justin Welby comme 105e archevêque de Canterbury.

La décision de Benoît XVI, premier pape à remettre sa charge depuis 1415, a évidemment une grande portée symbolique. Les définitions relatives à ce ministère lors du Concile Vatican I puis la médiatisation croissante des interventions pontificales au XXe siècle, renforcée par la personnalité de Jean-Paul II et sa fin de vie dramatique, avaient en quelque sorte conféré une aura particulière au pape qui échappe à la limite d’âge imposée aux autres évêques. En constatant humblement l’amoindrissement en lui de « la vigueur du corps et de l’esprit » au point de « reconnaître [son] incapacité à bien administrer le ministère qui [lui] a été confié », Benoît XVI a sans doute contribué à « désacraliser » la personne du pape de Rome, ou du moins à remettre au premier plan son ministère et son bon exercice. Le pape François a d’une certaine manière accentué cet ultime apport de son prédécesseur en demandant la prière des fidèles avant même de donner sa bénédiction. Mais paradoxalement, la simplicité du nouveau pape venu d’Amérique latine et son aspiration à une Église plus attentive aux pauvres illustrée par le choix de son nom, ont déclenché un grand enthousiasme montrant combien les hommes et femmes de notre temps, catholiques ou non, demeurent plus sensibles au caractère symbolique de sa personne qu’à celui d’un ministère d’unité qui demeure l’objet de controverses entre les confessions chrétiennes.

Dès son élection, en avril 2005, Joseph Ratzinger avait souligné son souci de l’unité des chrétiens, lors de sa première messe avec les cardinaux puis lors de son installation. En comparaison, les premières déclarations du pape François n’ont pas eu la même insistance sur l’exigence œcuménique. Peut-être ses liens avec la communauté juive sont-ils apparus davantage au premier plan, à travers son échange de lettre avec le Grand rabbin de Rome ou le communiqué chaleureux, publié dès le 14 mars, par le Comité directeur du Conseil International des Chrétiens et des Juifs (ICCJ) et la présence à son installation de représentants de ce peuple « auquel un lien spirituel très spécial nous unit ». De nombreux responsables d’autres Églises, il est vrai, s’étaient aussi déplacés à Rome à cette occasion, au premier rang desquels, fait sans précédent, le patriarche Bartholomée de Constantinople. Mais compte tenu des liens tissés entre les Églises de Rome et de Constantinople depuis le temps du Concile Vatican II, cette présence de celui qu’il appellera son « frère André » était-elle aussi riche d’une nouvelle espérance œcuménique que celle, plus inattendue encore, du patriarche Tawadros II, à l’installation d’Ibrahim Sidrak, une semaine plus tôt, dans la cathédrale copte catholique du Caire ?

En s’adressant aux représentants des autres confessions chrétiennes, reçus avec ceux des communautés juives et d’autres religions, le 20 mars, le pape François a certes déclaré :

« Hier matin, durant la Sainte Messe, j’ai reconnu spirituellement à travers vos personnes la présence des communautés que vous représentez. Par cette manifestation de foi, il m’a ainsi semblé vivre de manière plus pressante encore la prière pour l’unité des croyants dans le Christ, et d’en voir ensemble, en quelque sorte, préfigurée cette réalisation plénière qui dépend du plan de Dieu et de notre collaboration loyale. […] Pour ma part, je désire vous assurer, suivant en cela mes prédécesseurs, de la volonté ferme de poursuivre le chemin du dialogue œcuménique. »

Mais plus encore que cette assurance, l’insistance du nouveau pape à se présenter comme l’évêque de Rome aura sans doute été son geste œcuménique le plus significatif depuis son élection : n’est-ce point souligner en effet que l’Église catholique est une communion d’Églises locales ? De fait, ses premiers mots furent bien de se situer comme le pasteur de « l’Église de Rome, qui est celle qui préside toutes les Églises dans la charité », soucieux de « l’évangélisation de cette ville si belle », plutôt que de mettre en évidence sa première place au sein du collège des évêques, d’autant qu’il ne manqua pas de rappeler quelques jours plus tard que « le Pape aussi pour exercer le pouvoir doit entrer toujours plus dans ce service qui a son sommet lumineux sur la Croix ».

Les articles rassemblés dans ce numéro ne sont pas sans rapports avec les défis œcuméniques auxquels sera confronté le pape François, puisqu’ils évoquent les divergences de compréhension entre catholiques et orthodoxes sur l’institution patriarcale ou le rapport entre Église locale et Église universelle, ainsi que le rêve d’une concélébration eucharistique auxquels durent renoncer Paul VI et Athénagoras Ier. Depuis le 11 février, les commentateurs se sont fait l’écho de cardinaux réclamant une réforme en profondeur de la curie romaine. Les « affaires » dont les médias ont beaucoup parlé ne sont pas seules à la rendre nécessaire. Mais le dialogue œcuménique nous a appris que la nécessité d’une réforme est moins liée à une meilleure coordination des dicastères qu’à une mise en œuvre plus effective de la communion des Églises et dans l’Église pour que celle-ci soit davantage « catholique » dans la réalité même de sa vie.

Istina