Alors que les manifestations du Jubilé de la Réforme se multiplient en cette année 2017, associant souvent catholiques et protestants, on en oublierait presque l’orthodoxie et ses relations avec les autres confessions. Il est vrai que la rencontre du pape et du patriarche orthodoxe russe à La Havane, il y a un an, n’a pas apporté les fruits que certains en attendaient bien candidement, et que le saint et grand Concile réuni en Crète à la Pentecôte, auquel nous consacrons cette livraison d’Istina, fut aussi un évènement à certains égards décevant.

Si « la principale priorité du saint et grand Concile fut de proclamer l’unité de l’Église orthodoxe » (Message § 1), force est de reconnaître que cet objectif ne fut pas atteint du fait de la défection de plusieurs Églises et des appréciations négatives portées sur son travail par une très active minorité conservatrice. Certaines de ces Églises se sont déjà exprimées remettant en cause son appellation officielle, les unes y reconnaissant au moins un concile (Bulgarie et Géorgie), d’autres non (Antioche). On trouvera leurs déclarations parmi les documents ici rassemblés. Faut-il rappeler que trois des sujets mis à l’ordre du jour par la IIe réunion panorthodoxe de 1976 n’avaient pu être finalement retenus, faute déjà d’une entente suffisante des Églises : le calendrier, l’autocéphalie et les diptyques ? Du coup, seuls six thèmes ont été traités. Sans mésestimer l’importance des documents sur le jeûne, l’autonomie, la diaspora et le mariage, c’est-à-dire sur les relations interorthodoxes, nous avons choisi de centrer notre attention sur deux d’entre eux : les relations avec les autres chrétiens et la mission de l’Église orthodoxe dans le monde.

Dans son discours d’ouverture, non reproduit ici, le patriarche Bartholomée avait invité avec insistance les participants à voter les textes présentés en rappelant que « la révision des documents déjà approuvés à l’unanimité ne sera valable que si elle est acceptée par toutes les Églises autocéphales orthodoxes présentes ». Du coup, le concile semblait réduit à n’être qu’une chambre d’enregistrement d’un intense travail préconciliaire, plutôt qu’un lieu de débat. Ce serait sans doute durcir ses propos. Pour les deux textes retenus avec l’encyclique et le message, nous donnons au lecteur des éléments d’appréciation de l’importance des échanges au cours de leur élaboration, depuis les premières versions de 1986 jusqu’au texte final adopté trente ans plus tard.

À cet égard, on soulignera le fait que le document sur les relations avec les autres chrétiens est en fait le résultat de la fusion de deux textes antérieurs : l’un portant sur le mouvement œcuménique, et la participation orthodoxe au COE, et l’autre sur ses relations avec le reste du monde chrétien, amputé de sa deuxième partie qui donnait un état différencié des dialogues avec chacune des grandes communions ecclésiales mondiales. En choisissant de porter un regard indistinct sur l’ensemble des partenaires de dialogue, le concile ne pouvait qu’aboutir à un regard négatif sur l’ecclésialité de ces autres confessions auxquelles elle accepte de porter témoignage sans reconnaître qu’elle peut recevoir d’elles dans un « échange de dons ». De même, en insistant sur les aspects négatifs des évolutions de la société dans le monde contemporain, le texte sur la mission de l’Église orthodoxe dans le monde semble affirmer davantage qu’elle n’est « pas du monde », semblant oublier qu’elle reçoit aussi de lui.

Dans ces conditions, la tentation est grande pour l’observateur extérieur de comparer le Concile de Crète avec celui de Vatican II, qui rassembla bien plus de participants, fut un vrai lieu de débat remettant en cause les textes préparés à l’avance, et un grand moment d’ouverture de l’Église catholique aux autres chrétiens et au monde… Comme le soulignent les deux auteurs sollicités pour introduire notre dossier, une telle comparaison du Concile de Crète avec celui de Vatican II ne serait sans doute pas juste, car les situations des Églises et leurs fonctionnements ne sont pas identiques. De fait, la rencontre de Crète a souligné le paradoxe d’un processus conciliaire beaucoup vanté mais dont la pleine mise en œuvre n’en est en fait qu’à ses débuts dans l’orthodoxie contemporaine et elle doit être considérée comme un premier pas important de son entrée dans un vrai dialogue avec la modernité, en attendant les prochaines sessions puisqu’a été décidée « la convocation régulière du saint et grand Concile tous les sept ou dix ans » (Message § 1).

Istina