Au terme d’un long processus de concertation suscité par une initiative de l’Église catholique, le Conseil d’Églises chrétiennes en France, qui fête ses trente années d’existence, a décidé de recommander une nouvelle formulation de la sixième demande du Notre Père lors des célébrations œcuméniques : « Et ne nous laisse pas entrer en tentation », seule modification apportée au texte de l’oraison dominicale adoptée par catholiques, protestants et orthodoxes francophones en 1966.

Cette formulation est entrée en vigueur lors de l’Avent 2017, au terme d’une année jubilaire de la Réforme. Elle manifeste la difficulté de traduire l’Écriture Sainte en langues vernaculaires et l’importance de le faire, comme Martin Luther y a contribué. Elle nous rappelle aussi qu’aux blessures du passé non encore surmontées peuvent s’ajouter d’autres divisions, tant il est difficile pour l’Église de vivre des « réformes sans schismes ».

Pour l’Église catholique, cette nouvelle version du Notre Père est indissociable de la révision des traductions de textes liturgiques qui vient de faire l’objet d’un motu proprio du pape François revalorisant le rôle des Conférences d’évêques nationales au détriment de la Congrégation pour le culte divin. Elle s’inscrit donc dans le contexte d’une réforme laborieuse de l’Église liée à la réception encore en cours du Concile Vatican II. Depuis un demi-siècle, certains fidèles continuent d’y résister. Dans un entretien publié le 26 novembre 2017 par le quotidien italien Il Corriere della Sera, le cardinal Müller s’en est fait l’écho et, brandissant la menace de nouvelles scissions, a osé un commentaire qui a provoqué un certain émoi : « L’histoire du schisme protestant de Martin Luther, il y a 500 ans, devrait surtout nous montrer les erreurs à éviter ».

Chaque tradition chrétienne est travaillée par des tentations de rupture, plus particulièrement en ces temps de bouleversements sociaux et de reconfiguration du paysage religieux. Faut-il évoquer l’absence du Conseil national des évangéliques de France au vaste rassemblement « Protestants en fête » fin octobre 2017 à Strasbourg, du fait de la place accordée à la militance LGBT ? Ou bien revenir sur le Concile de Crète à la Pentecôte 2016 et sur les difficultés pour les Églises orthodoxes de mieux mettre en œuvre une synodalité à laquelle elles sont attachées pour surmonter leurs différends ?

à l’approche de la Semaine de prière pour l’unité chrétienne, ces constats douloureux soulignent l’actualité de la sixième demande du Notre Père. Certes, en un peu plus d’un siècle, le mouvement de promotion de l’unité des chrétiens par l’unité des Églises a porté de beaux fruits, mais il demeure bien fragile. L’annonce d’un prochain rassemblement du Forum chrétien mondial à Bogota en Colombie, du 24 au 27 avril 2018, est cependant porteur d’espoir face à la tentation pour certaines composantes du monde chrétien de se replier sur leur « profil », tandis que d’autres continuent de croître sans se préoccuper de l’unité visible de dénominations qu’elles estiment dépassées.

Pour évoquer ces transformations et ces risques, nous avons choisi de porter notre regard sur le continent africain où le christianisme connaît une grande expansion. S’il rassemble aujourd’hui environ 570 millions de fidèles, soit guère moins que l’Amérique latine et l’Europe, il sera bientôt le premier continent chrétien. Avant de chercher à mieux comprendre, dans un prochain numéro, les courants pentecôtistes qui constituent incontestablement le fer de lance de cette expansion, nous nous intéressons ici à des traditions plus anciennes.

Nous observerons d’abord deux Églises orientales : le patriarcat orthodoxe grec d’Alexandrie, confronté au défi de l’inculturation bien que son développement au sud du Sahara soit en partie dû à des initiatives africaines, et l’Église orthodoxe Tewahedo d’Éthiopie, qui connaît une perte d’influence du fait de changements socio-politiques importants et de la concurrence d’autres communautés. Puis nous considérerons la situation d’Églises d’origine occidentales : les luthériens africains, dont l’empreinte culturelle bouscule les autres composantes de leur communion mondiale, et les Églises tant protestantes que catholique d’Afrique du Sud qui, après avoir été tout à la fois complices, victimes et opposantes de l’apartheid, doivent réinventer leurs relations œcuméniques dans un nouveau contexte.

Istina