Accueilli avec scepticisme, il y a une vingtaine d’années, le projet du Forum chrétien mondial a fini par s’imposer comme un lieu important de rencontre des confessions chrétiennes dans leur grande diversité. En rassemblant pour la troisième fois, du 23 au 27 avril 2018, plus de 250 participants venus d’Églises engagées dans le mouvement œcuménique comme de communautés et réseaux qui restent à distance, la rencontre de Bogota a bien montré le besoin d’une telle plate-forme. Sans doute ne remplace-t-il pas le Conseil œcuménique des Églises, qui s’apprête à célébrer les soixante-dix ans de sa fondation et à recevoir le pape François, le 21 juin. Le Forum n’en offre pas moins un espace de rencontre plus large où peut s’exprimer la prise de conscience par une majorité de la nécessité du dialogue.

Les questions éthiques sont sans aucun doute l’un des domaines dans lesquels ce dialogue est le plus difficile entre les confessions chrétiennes. Istina leur a consacré un numéro présentant l’important document de la commission Foi et Constitution sur le discernement moral dans les Églises (2013) [LX (2015), n° 2-3]. Le présent numéro voudrait aborder un exemple précis, celui des questions posées par la médecine reproductive qui sont au cœur d’un important débat de société. Ainsi, en France, au cours du premier semestre de cette année 2018, les États généraux de la bioéthique ont donné la possibilité à tout citoyen de mieux comprendre les avancées scientifiques et techniques en ce domaine, de mesurer leurs enjeux et d’exprimer un avis pour éclairer les parlementaires qui seront appelés dans quelques mois à réviser la loi du 7 juillet 2011 sur ces questions.

Dans ce débat comme en d’autres, les Églises ont leur rôle à jouer. Le président de la République française, Emmanuel Macron, a lui-même reconnu ce rôle dans un important discours prononcé le lundi 9 avril, au Collège des Bernardins à Paris. Répondant notamment aux interpellations du président de la Conférence des évêques catholiques sur l’immigration et la bioéthique, il déclarait :

Nous ne pouvons plus, dans le monde tel qu’il va, nous satisfaire d’un progrès économique ou scientifique qui ne s’interroge pas sur son impact sur l’humanité et sur le monde […] : nous avons besoin de donner un cap à notre action, et ce cap, c’est l’homme. Or il n’est pas possible d’avancer sur cette voie sans croiser le chemin du catholicisme, qui depuis des siècles creuse patiemment ce questionnement. […] Nous écoutons une voix qui tire sa force du réel et sa clarté d’une pensée où la raison dialogue avec une conception transcendante de l’homme. Nous l’écoutons avec intérêt, avec respect et même nous pouvons faire nôtres nombre de ses points. Mais cette voix de l’Église, nous savons au fond vous et moi qu’elle ne peut être injonctive. Parce qu’elle est faite de l’humilité de ceux qui pétrissent le temporel. Elle ne peut dès lors être que questionnante. […] Ainsi, l’Église n’est pas à mes yeux cette instance que trop souvent on caricature en gardienne des bonnes mœurs. Elle est cette source d’incertitude qui parcourt toute vie, et qui fait du dialogue, de la question, de la quête, le cœur même du sens, même parmi ceux qui ne croient pas.

Sur les problèmes de bioéthique, d’autres voix questionnantes d’Églises ont été entendues. Nous reproduisons la prise de position de la Fédération protestante de France affectée, on le sait, par de fortes tensions internes sur ces problèmes. Ses interpellations sur l’assistance médicale à la procréation et la gestation pour autrui sont le fruit d’un dialogue œcuménique intra-protestant. Nous avons choisi cependant de nous arrêter sur un autre texte, reflétant une diversité moins large parmi des Églises porteuses de l’héritage de la Réforme : la Communion d’Églises protestantes en Europe a publié en juin 2017 un document intitulé « Avant que je te forme dans le ventre… ». Guide pour une éthique de la médecine reproductive. Ce document est trop long pour être reproduit ici, mais il est aisé de s’en procurer une version imprimée ou numérisée. Après une présentation de son contenu, nous proposons des réflexions critiques de spécialistes catholique, protestant évangélique et orthodoxe. Elles n’engagent que leurs auteurs, mais reflètent bien les clivages confessionnels qui portent tant sur les fondements épistémologiques du discernement que sur la valeur accordée à l’embryon humain et les conséquences qui en découlent. En présentant ces lectures du document protestant européen, nous espérons contribuer à une meilleure écoute mutuelle des confessions chrétiennes et faire entendre le questionnement dont elles sont porteuses dans leurs diversités.

Istina