L’émotion devant le feu qui ravageait la toiture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, l’inquiétude pour la couronne d’épines ou pour le coq surmontant la flèche transformée en torchère n’ont pas manqué d’interroger sur la valeur symbolique d’un tel bâtiment, où semblait ne devoir subsister que l’image impressionnante de la croix dont l’or scintillait au fond des décombres de la nef à quelques jours des célébrations pascales 2019.

Si une belle solidarité interconfessionnelle s’est manifestée à l’occasion de ce tragique événement, l’actualité œcuménique aura été aussi marquée par les questions soulevées lors des nouveaux voyages du pape François. Au premier chef ceux qu’il a effectués en Bulgarie et Macédoine du Nord puis en Roumanie, sur fond de tensions internes dans l’orthodoxie. Bien des observateurs y ont noté avec tristesse l’absence de prière commune tant à Sofia, où l’évêque de Rome se recueillit seul dans la cathédrale orthodoxe, qu’à Bucarest, où le patriarche Daniel et lui-même récitèrent le Notre Père successivement, mais pas ensemble.

Devant une manifestation aussi désolante des piétinements de l’œcuménisme institutionnel, la tentation est grande de se tourner vers l’interreligieux. Les voyages du pape François à Abou Dhabi puis au Maroc, deux pays dominés par l’islam, n’ont-ils pas été porteurs d’espoir ? Le premier, avec la signature d’un document historique « Fraternité humaine pour la paix dans le monde et vivre ensemble », approuvé conjointement par le pape et le Dr Ahmad al Tayyib, grand imam d’Al-Azhar, le 4 février 2019 à Abou Dhabi ; le second, à travers les paroles fortes du pape François rappelant, le 31 mars, aux religieux et membres du Conseil des Églises du Maroc que « notre mission de baptisés, de prêtres, de consacrés, n’est pas déterminée particulièrement par le nombre ou par l’espace que nous occupons, mais par la capacité que l’on a de produire et de susciter changement, étonnement et compassion » et les invitant à bannir le prosélytisme pour se concentrer sur « l’œcuménisme de la charité ».

Quelques semaines plus tard, à Genève, dans le prolongement de leur coopération, le Conseil œcuménique des Églises [COÉ] et le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux [CPDI] présentaient le document « L’éducation pour la paix dans un monde multiconfessionnel : une perspective chrétienne », qui vient prolonger d’autres textes, notamment « Le témoignage chrétien dans un monde multireligieux : recommandations de conduite » (2011). Ils soulignaient que « cet événement marque une étape importante dans la poursuite des efforts conjoints du COÉ et du CPDI en vue de renforcer les relations œcuméniques par la promotion du dialogue interreligieux ».

Sans doute convient-il de bien distinguer dialogue œcuménique et dialogue interreligieux, dans leur fondement et dans leur but. Ces initiatives œcuméniques à portée interreligieuse nous rappellent cependant qu’on ne peut les séparer dans la mesure où ils peuvent se féconder mutuellement et surtout peut-être parce que tous deux sont ordonnés finalement à cette récapitulation de toute chose dans le Christ chantée par l’hymne aux Éphésiens. Le rayonnement modeste d’un institut œcuménique original à Rabat, Al Mowafaqa, où étudiants catholiques et protestants reçoivent un enseignement à la fois interconfessionnel et interreligieux dispensé à plusieurs voix, témoigne d’ailleurs de cette possible fécondité mutuelle.

Certes l’urgence des défis de l’interreligieux ne doit pas nous détourner d’un retour tenace aux piliers du mouvement œcuménique : la prière, la mission, le christianisme pratique et le dialogue théologique. Sur ce point on ne peut que se réjouir de la publication du document anglican – catholique « Walking Together on the Way. Learning to be the Church – Local, Regional, Universal » (ARCIC III, 2011-2017), qui examine nos usages respectifs des instruments de communion. C’est, nous disent ses coprésidents, en les examinant et en les réformant côte à côte et en conversation, que nous nous rapprocherons également les uns des autres et renforcerons la communion imparfaite qui existe déjà entre nous.

Cet « apprentissage réceptif mutuel » a tenu une place importante dans la réflexion des participants à la dernière session de l’Académie internationale des sciences religieuses, consacrée à l’avenir de l’œcuménisme. Grâce au frère Hervé Legrand, professeur émérite à l’Institut catholique de Paris et vice-président de cette prestigieuse Académie, nous publions ici la plupart des contributions à cette rencontre. Sans doute traitent-elles surtout de la réception des dialogues théologiques d’une partie seulement du monde chrétien. Celles qui seront publiées dans la prochaine livraison aborderont, selon une approche plus sociologique, les transformations en cours du paysage religieux, marquées par l’essor des pentecôtismes, dont dépendra l’avenir de l’œcuménisme compris en un sens moins restreint.

Istina