Des événements survenus ces derniers mois pourraient être interprétés comme la manifestation d’une décomposition du christianisme, qu’il s’agisse des révélations sur le comportement de certains ministres du culte, notamment catholiques, ou des tensions internes aux grandes confessions menacées d’éclatement : celles vécues au sein de l’Église catholique, où le pape François a reconnu lui-même des menaces de schisme, à son retour de Madagascar ; celles manifestées au sein de l’orthodoxie par la rupture de communion entre Constantinople et Moscou au sujet de l’Ukraine ou par le conflit opposant ce même patriarcat de Constantinople et les dirigeants de l’archevêché des paroisses orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale, sans parler de celles perdurant au sein des divers héritiers de la Réforme du XVIe siècle.

Ces événements, égrenés ici sans nuances à la manière de certains médias, pourraient décourager les œcuménistes : comment rêver d’une unité des chrétiens par l’unité d’Églises si ces dernières vivent de tels déchirements internes ? Une analyse moins pessimiste, il est vrai, conduit à se demander si l’on n’est pas en train d’assister plutôt à une recomposition à plus long terme des grandes formes ecclésiales du christianisme. L’article de Philippe Gonzalez, qui achève la publication des actes de la journée d’étude de l’Académie internationale des sciences religieuses, attire notre attention sur certains aspects de ces forces de recomposition en marge des institutions.

Mais le regard des partenaires traditionnels du mouvement œcuménique, souvent porté à partir du monde occidental, tient-il suffisamment compte de la complexité d’une situation marquée aussi par le basculement Nord-Sud du centre de gravité du christianisme et par l’essor phénoménal de communautés et réseaux plus récents désignés comme « pentecôtistes » ? Cette désignation globale appelle bien des précisions. En réalité, selon certaines statistiques, ce serait la nébuleuse « néo-charismatique », marquée par un fonctionnement en réseau et par la place accordée aux ministères d’apôtres et de prophètes selon Ép 4, qui contribuerait le plus à cette croissance. À cet égard, on lira avec attention le document, publié récemment par le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, qui décrit les caractéristiques de ces réalités ecclésiales. On remarquera en particulier comment elles se distancient en fait du pentecôtisme classique. Mais ce dernier, qui s’est aligné assez vite il y a un siècle sur la théologie protestante évangélique, pourrait évoluer lui aussi au cours des prochaines décennies dans une direction plus autonome par rapport au protestantisme. Ainsi, aux côtés des autres grandes traditions, elles-mêmes travaillées par des clivages transversaux, semble bien se constituer progressivement un nouveau pôle du christianisme.

C’est dire qu’un regard sur les dialogues doctrinaux entre catholiques, orthodoxes et luthéro-réformés ne saurait suffire à envisager l’avenir de l’œcuménisme. En complément des contributions publiées dans le précédent numéro de notre revue, nous proposons donc des points de vue et documents sur l’éveil de ces sensibilités pentecôtistes-charismatiques à la quête de l’unité. D’autres événements auraient pu illustrer la dynamique œcuménique en ces temps troublés, comme la remise par le pape François d’un reliquaire contenant des restes de l’apôtre Pierre à la délégation du patriarcat de Constantinople le 29 juin à l’occasion de sa visite annuelle, ou encore la rencontre des responsables de huit organisations œcuméniques régionales avec le Conseil œcuménique des Églises [COÉ] à l’Institut œcuménique de Bossey du 2 au 4 juillet, ou même l’annonce par le réseau « Jésus 2033 » d’un rassemblement à Bruxelles, les 26-29 novembre prochains. Nous avons retenu la synthèse par son directeur du travail mené au sein de la commission Foi et Constitution. Réunie en Chine au mois de juin, elle continue de demeurer un lieu important de réflexion sur des convergences possibles que les dialogues bilatéraux ne doivent pas éclipser.

Istina