Éditorial 2023/1 : Ensemble sur le chemin !

Lors d’une récente conférence donnée à Fribourg, en Suisse, à l’occasion de l’hommage qui lui était rendu pour le service remarquable de l’unité des chrétiens qu’il a assuré notamment comme secrétaire général par intérim du Conseil œcuménique des Églises durant ces trois dernières années, le père Ioan Sauca rappelait les défis posés aux anciens paradigmes du mouvement œcuménique et la nécessité d’en définir de nouveaux. Selon certains, en effet, le concept initial d’unité tel qu’il est développé au début du xxe siècle restait marqué par une vision impérialiste héritée de l’Empire romain, finalement celle d’un temps de chrétienté qui se défait sous nos yeux. Dans un monde où l’on affirme qu’il n’y a pas une vérité mais plusieurs, où les expressions institutionnelles de toutes sortes sont contestées et rejetées, il importerait avant tout de sauvegarder les identités et les différences.

Les Églises elles-mêmes sont marquées par ces défis, en particulier l’Église catholique. Tout en cherchant, par une meilleure expression de la synodalité, à mieux conjuguer diversité et communion, elle garde le souci de maintenir la cohésion de ses implantations en des régions du monde aux cultures bien différentes. À cet égard, le « chemin synodal » de l’Église catholique en Allemagne, depuis son ouverture en 2019 à Lingen, sous le choc du scandale des abus, jusqu’à sa clôture en mars 2023 à Francfort, a manifesté de telles tensions avec Rome que certains redoutent un schisme. De fait, si les propositions votées, notamment sur la participation de laïcs à la gouvernance, l’ordination de femmes ou la bénédiction de couples homosexuels, semblent recueillir l’appui d’une majorité de fidèles allemands, Rome est bien consciente que le désir de telles évolutions n’est pas partagé par tous et qu’elles provoqueraient une forte résistance, voire un refus non seulement du petit troupeau dit « traditionaliste », mais surtout en d’autres régions du monde, où se trouve désormais une majorité de catholiques qui n’ont ni les mêmes conceptions de l’autorité ni les mêmes visions éthiques. Dès le 21 juillet 2022, le Saint-Siège avait averti qu’il ne permettrait pas que soient adoptées « de nouvelles structures ou doctrines officielles dans les diocèses, avant la conclusion d’un accord au niveau de l’Église universelle », afin d’éviter « une blessure pour la communion ecclésiale et une menace pour l’unité de l’Église ». Mais, ne sera-t-il pas de plus en plus difficile de plaider pour davantage de synodalité sans faire droit aux fortes attentes du peuple de Dieu en certaines régions du monde et de continuer à vouloir maintenir les mêmes normes pour toutes les Églises locales ?

L’enjeu bien sûr est aussi œcuménique. Certes, faire droit aux demandes du chemin synodal allemand contribuerait sans doute au rapprochement de l’Église catholique avec luthériens et réformés en Europe occidentale. Mais l’Église catholique a d’autres partenaires dont la compréhension de l’Église et du ministère ou les positions dans le domaine éthique sont tout autres, ce qui ne rend pas la tâche facile d’autant plus que les clivages sur de telles questions traversent toutes les confessions.

Sans plaider pour une unité qui se limiterait à une simple cohabitation de diverses sensibilités chrétiennes, beaucoup rappellent la nécessité de cheminer ensemble pour vivre un échange de dons et témoigner de la bonne nouvelle dans un monde éclaté. Dans sa conférence, Ioan Sauca rappelait que « le pape François, le patriarche œcuménique Bartholomée, et d’autres dirigeants d’Église, utilisent abondamment le terme et la notion de “chemin commun” comme une nouvelle façon de décrire les efforts œcuméniques de notre temps ». Et de rappeler que le COÉ est la manifestation d’« un mouvement et non une institution statique ». De fait, si le souci fut de « demeurer ensemble » au début de ce mouvement, il est désormais de « cheminer ensemble » au cours d’un « Pèlerinage de justice, de réconciliation et d’unité ».

Les questions écologiques, qui s’imposent plus que jamais comme un défi majeur pour notre temps, sont peut-être l’un des lieux où des chrétiens soucieux d’unité parviennent aujourd’hui à cheminer ensemble. Les initiatives majeures du patriarcat œcuménique et l’encyclique Laudato si’ du pape François ne sont pas les seules contributions chrétiennes en ce domaine. Les instances œcuméniques ont apporté aussi de riches contributions. Dans le prolongement de la présentation et de la traduction du document de Foi et Constitution Cultivez et prenez soin (Istina LXVI [2021], no 3), cette livraison d’Istina en donne trois exemples. D’abord en rappelant l’apport du Conseil œcuménique des Églises par sa réflexion et son action notamment auprès d’institutions politiques internationales. Puis en montrant comment les dialogues théologiques contribuent à enrichir la réflexion grâce à un riche commentaire de celui mené entre anglicans et orthodoxes. Enfin en exposant comment, dans un pays comme la France, se mettent progressivement en place des initiatives écologiques au sein de communautés chrétiennes.

Istina