Éditorial 2020/4 : Fais couler en nous le fleuve de l’amour fraternel !

C’est par cette prière, adressée à Dieu Trinité, que le pape François conclut sa troisième encyclique sur la fraternité, publiée en la fête du pauvre d’Assise. Une prière qui a pris un singulier relief avec l’assassinat en France de l’enseignant Samuel Paty, le 16 octobre 2020, victime du fanatisme dans un climat de dérision qui manifeste la perte de crédibilité de religions incapables de répondre à la quête de sens de nos contemporains, du moins en Occident.

Que dire aussi d’autres drames, notamment dans le Haut-Karabakh, où la population d’origine arménienne, majoritaire sur une terre séparée par Staline de l’Arménie, est aujourd’hui menacée d’extermination par le président turc qui n’a pas craint d’affirmer « nous continuerons à remplir cette mission que nos grands-pères ont menée pendant des siècles dans la région du Caucase » ?

Dans ce contexte tragique, exacerbé par la persistance de la pandémie de Covid-19, la publication commune, fin août 2020, par le Conseil œcuménique des Églises [COÉ] et le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, du document « Servir un monde blessé dans la solidarité interreligieuse » et la 34e rencontre mondiale pour la paix, rassemblant des représentants de diverses religions avec le pape François et le patriarche Bartholomée à Rome, le 21 octobre, peuvent apparaître comme des signes d’espérance bien modestes.

Il en est de même d’autres initiatives œcuméniques. Outre les appels à la prière et à la paix lancés par le comité exécutif du COÉ, citons les travaux de la conférence annuelle des secrétaires des Communions chrétiennes mondiales, qui se sont déroulés du 20 au 22 octobre 2020, ou les visio-conférences sur « les dialogues œcuméniques bilatéraux hier et aujourd’hui » puis « l’Église locale, l’Église universelle et les défis de la société ». Ces nécessaires rencontres de spécialistes, dont la fécondité ne peut apparaître immédiatement, ont reçu moins d’écho médiatique que la publication par le Vatican d’un Vademecum œcuménique destiné aux évêques et surtout sa critique acerbe du document « Ensemble à la table du Seigneur » du Groupe de travail œcuménique de théologiens catholiques et protestants allemands, dont on trouvera un écho dans ce numéro.

C’est d’un autre document que notre revue propose une analyse à plusieurs voix : « Pour la vie du monde », publié par l’archevêché d’Amérique du patriarcat œcuménique. Ce long texte offre une stimulante réflexion sur l’éthos social de l’Église orthodoxe dans le monde d’aujourd’hui. Alors que l’orthodoxie pleure la disparition du patriarche Irénée de Serbie, le 20 novembre 2020, et connaît de nouvelles tensions internes liées à la reconnaissance de l’autocéphalie de l’Église ukrainienne, ce document présente une réflexion plus large que celui relatif à la doctrine sociale publié par le patriarcat de Moscou, en l’an 2000, et plus ouverte que celui sur la mission du concile de Crète de 2016. En invitant à des rapprochements avec les prises de position catholique et protestante, soulignés par G. Catta et K. Lehmkühler, il remet en cause bien des préjugés sur une Église orthodoxe qui serait prémoderne ou indifférente au monde. Mais, sur fond de rivalités entre Constantinople et Moscou, il témoigne aussi, comme le montre bien V. N. Makrides, d’une différenciation continue de l’orthodoxie qui ne peut réjouir les œcuménistes.

Ce dernier numéro de l’année, qui n’offre pas les tables décennales désormais en ligne sur notre site internet, est plus particulièrement dédié au frère dominicain James Karepin, collaborateur d’Istina, à partir de 2011. Décédé le 18 octobre 2020 dans sa 69e année aux États-Unis, son pays natal, où il était retourné en juillet 2018, il avait été baptisé dans l’Église gréco-catholique ukrainienne et avait fait profession dans l’ordre des prêcheurs en 1991 avant d’être ordonné prêtre en 1995. Que notre frère reçoive ici l’hommage du centre Istina, qu’il a servi avec générosité, témoignant par son double enracinement ecclésial de la complémentarité des traditions d’Orient et d’Occident.

Istina