Éditorial 2020/1 : Inculturation en Amazonie et évolution du catholicisme occidental

à la suite du synode des évêques catholiques pour la région panamazonienne, en octobre 2019, dont le document final recommandait la possibilité d’ordonner des femmes au ministère diaconal (§ 103) et des hommes mariés au ministère presbytéral (§ 111), beaucoup se demandaient comment le pape François se situerait par rapport à ces deux propositions ? Les reprendrait-il à son compte ? Une évolution de la discipline pour l’Amazonie ouvrirait-elle des perspectives pour l’Europe ?

Ce questionnement, aux implications œcuméniques, s’inscrivait dans un contexte tendu, marqué par la publication d’un livre du cardinal Sarah défendant le célibat des prêtres, présenté comme co-signé avec le pape émérite Benoît XVI, et par la diffusion d’un film évoquant l’affrontement de deux sensibilités dans l’Église catholique en imaginant la rencontre de l’évêque de Rome avec son prédécesseur. De la publication de l’exhortation apostolique Querida Amazonia, le 12 février 2020, certains ont retenu surtout le silence du pape sur les deux points évoqués et l’ont interprété comme un renoncement à faire bouger l’Église latine en ne faisant pas droit à ces propositions, et de ce fait comme une victoire du camp conservateur. La réalité est évidemment plus complexe.

Au début de son exhortation, le pape explique : « je veux présenter officiellement le document qui nous expose les conclusions du synode auquel ont collaboré de nombreuses personnes qui connaissent, mieux que moi et que la Curie romaine, la problématique de l’Amazonie, parce qu’elles y vivent, elles y souffrent et elles l’aiment avec passion » (§ 3), et il invite les fidèles à le « lire intégralement ». À l’encontre d’une pratique synodale antérieure donnant le dernier mot à l’évêque de Rome, la présente exhortation entend donc reconnaître la pertinence du discernement d’évêques d’une région pour les problèmes qui relèvent de leur responsabilité et l’autorité d’un document synodal.

Il convient aussi de regarder de plus près les quatre chapitres de cette exhortation dans laquelle le pape partage son rêve social, son rêve culturel, son rêve écologique et son rêve ecclésial pour la région amazonienne, notamment le quatrième où il insiste sur l’inculturation de la foi, de la liturgie et de la ministérialité. Certes le pape y réaffirme l’identité propre du prêtre, en la liant à l’eucharistie, et il écarte l’hypothèse d’une délégation de la présidence de ce sacrement à des laïcs (§ 87). De même, il exclut de « cléricaliser les femmes » en leur donnant une place plus importante dans l’Église seulement par un « accès à l’Ordre sacré » (§ 100). Mais il est remarquable aussi que le pape demande de « veiller à ce que la ministérialité se configure de telle manière qu’elle soit au service d’une plus grande fréquence de la célébration de l’eucharistie, même dans les communautés les plus éloignées et cachées » (§ 86), en rappelant que « la manière de configurer la vie et l’exercice du ministère des prêtres n’est pas monolithique, et acquiert diverses nuances en différents lieux de la terre » (§ 87). Dans la communion catholique, unissant des Églises implantées dans des réalités culturelles diverses, l’ordination d’hommes mariés, déjà bien établie dans les Églises orientales, demeure donc envisageable pour la région amazonienne.

Encore faudrait-il que cette Église s’émancipe d’une logique uniformisatrice à l’arrière-plan du débat entre partisans et adversaires du maintien de la règle du célibat dans toute l’Église latine. Le silence du pape sur les propositions du synode relatives au ministère ordonné ne s’éclaire-t-il pas par son souci de faire évoluer son Église vers une communion dans une plus grande diversité ? Tel est sans doute le sens de cette remarque : « L’Amazonie nous met au défi de surmonter des perspectives limitées, des solutions pragmatiques qui demeurent enfermées dans les aspects partiels des grandes questions, pour chercher des voies plus larges et audacieuses d’inculturation. » (§ 105)

De cette exhortation, le lecteur retiendra sans doute enfin que le dernier chapitre s’achève par une invitation à s’engager dans une « cohabitation œcuménique et interreligieuse ». Tout en soulignant les richesses propres à l’Église catholique qui ne sont pas assumées par les autres confessions chrétiennes, ce qui est le cas notamment des communautés évangéliques-pentecôtistes, le pape François insiste sur ce qui unit les chrétiens et les appelle à « lutter ensemble » (§ 108-110). En se faisant ainsi le promoteur d’une forte inculturation, de la diversité dans l’unité et du dialogue, le pape contribue donc à faire évoluer la primauté pour qu’elle soit davantage au service de la synodalité dans une Église vraiment « catholique ».

Cette tension entre primauté et synodalité est au cœur du document Au service de la communion du Groupe Saint-Irénée. En complément du précédent numéro où la traduction du texte était précédée d’introductions par deux théologiens catholiques, celui-ci commence par une réaction orthodoxe ; elle nous est offerte par l’une des chevilles ouvrières du Groupe de dialogue nord-américain catholique – orthodoxe, dont nous avons traduit le beau dernier document sur « La vocation et la mission du peuple de Dieu ». Cette contribution est suivie du regard porté par une théologienne luthérienne, qui en souligne aussi les forces et les faiblesses, avant qu’un théologien anglican ne nous rappelle, par sa réaction plus distanciée sur la partie théologique, que les nombreux dialogues bilatéraux auxquels se livrent les Églises, en particulier l’Église catholique romaine, gagneraient à être élargis à d’autres partenaires.

Istina