Éditorial 2022/1 : Le meurtre de Caïn !

Alors que le spectre de la guerre semblait s’être éloigné définitivement de l’Europe occidentale depuis l’effondrement de l’Union soviétique, la décision du président Poutine de reconnaître les républiques auto-proclamées de l’est de l’Ukraine puis d’envahir ce pays souverain, le 24 février 2022, a plongé le monde dans la stupéfaction en lui rappelant que le pire est toujours possible.

Si l’on ne sait où conduira le rêve mégalomaniaque du président russe d’instaurer un empire unifiant en un même territoire la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie, on peut au moins constater qu’il aura réussi à réveiller une conscience politique européenne commune et même un OTAN moribond. Il aura réussi également à créer les conditions d’une unité orthodoxe en Ukraine à laquelle n’était pas parvenu l’octroi de l’autocéphalie par le patriarcat de Constantinople.

De fait, la réaction déterminée immédiate du métropolite Onuphre de l’Église orthodoxe ukrainienne, dépendant du patriarcat de Moscou, de qualifier l’invasion russe de « meurtre de Caïn » et de soutenir les militaires ukrainiens contre leurs agresseurs russes a bien manifesté le choix d’une solidarité nationale, alors que le patriarche Cyrille de Moscou se contentait d’un appel à la paix et à l’unité des « peuples qui ont une histoire commune séculaire remontant au baptême de la Rus’ ». Il est d’ailleurs significatif que plusieurs évêques du patriarcat de Moscou aient décidé de ne plus mentionner le patriarche lors de la célébration de l’eucharistie !

Le malaise et l’indignation ont gagné plus largement le monde orthodoxe et bien d’autres chrétiens lorsque le patriarche de Moscou a justifié l’invasion de l’Ukraine, par l’agression d’un Occident dévoyé contre le « monde russe », à laquelle participerait le patriarcat œcuménique, et surtout au nom d’un « combat métaphysique » entre le Bien et le Mal. Un tel soutien idéologique au pouvoir autocratique de Vladimir Poutine manifeste un aveuglement incompréhensible au regard des leçons de l’histoire. L’étude de Serge Model sur le « concordat » stalinien de 1943, présentée dans ce numéro, nous le rappelle.

Ce soutien du patriarche de Moscou à l’invasion de l’Ukraine n’est pas la seule marque d’allégeance à la politique expansionniste du président Poutine. Comment ne pas rapprocher en effet la décision du patriarcat de Moscou de créer un exarchat en Afrique des efforts de la Russie pour reprendre pied sur ce continent riche en minerais ? Quoi qu’il en soit, la création de cet exarchat sur le territoire canonique du patriarcat d’Alexandrie, pour « punir » ce dernier d’avoir soutenu Constantinople dans le processus d’autocéphalie en Ukraine, contribue à accentuer l’éclatement de la communion orthodoxe. Nul ne peut se réjouir d’une telle situation qui complexifie le dialogue œcuménique et qui aura de tristes répercussions sur l’évangélisation de l’Afrique.

Dans ce contexte tragique, la crainte de la pandémie de covid-19 semble s’éloigner. Elle aura fortement marqué la vie des Églises et accéléré leur recours à des moyens numériques. La publication, par le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, du document L’œcuménisme à l’heure de la pandémie : de la crise à l’opportunité le souligne bien. Le constat en a été fait également lors de la récente réunion, en visio-conférence, du comité central du Conseil œcuménique des Églises qui prépare activement sa onzième assemblée appelée à se tenir à Karlsruhe en septembre prochain.

Ce numéro tourne plutôt son regard vers la Grèce qui vient de célébrer le bicentenaire du soulèvement de 1821 contre le joug ottoman. En écho à la visite du pape François à Chypre et en Grèce, en décembre 2021, il rassemble des contributions à une série de tables rondes, organisées deux mois plus tôt, par l’Académie d’études théologiques de Volos, sur les défis auxquels doit faire face l’Église orthodoxe dans ce pays où la sécularisation et les migrations provoquent une redéfinition de l’identité hellène.

Heureux de pouvoir bénéficier à nouveau d’une collaboration avec cette prestigieuse institution de recherche, le centre Istina en remercie chaleureusement son président, le métropolite Ignace de Demetrias, et son directeur, le professeur Pantelis Kalaitzidis, qui n’a pas ménagé sa peine pour nous communiquer, en traduction française, les interventions à cette importante réflexion.

Istina