Éditorial 2021/4 : Nous sommes tous dans la même barque !

Le mercredi 27 novembre 2021, 27 migrants ont péri dans la Manche. Cette tragédie qui a soulevé une grande émotion a attiré une nouvelle fois l’attention sur le drame de personnes fuyant la misère, les guerres ou la dictature qui sévissent dans leur pays. Ils ne sont certes pas les premiers, et la Méditerranée a elle aussi connu de telles tragédies dont les îles de Lampedusa et Lesbos sont de tristes symboles.

C’est précisément en Méditerranée, à Chypre et en Grèce, qu’en ce début du mois de décembre le pape François a effectué un nouveau voyage marqué par un triple objectif : vivre un pèlerinage de « retour aux origines » dans ces contrées marquées par le ministère itinérant des apôtres Paul et Barnabé proclamant le salut en Jésus Christ ; aller à la rencontre des chrétiens, majoritairement orthodoxes, qui sont confrontés au défi du pluralisme religieux ; rappeler l’urgence de la fraternité dans un espace qui est le centre de nombreuses tensions géopolitiques dont le drame des réfugiés est l’une des manifestations.

Dans son message adressé, l’an passé, à la ville de Rome et au monde à l’occasion de Noël, le pape soulignait déjà l’imbrication de ces trois enjeux : « En ce moment historique, marqué par la crise écologique, et par de graves déséquilibres économiques et sociaux aggravés par la pandémie de covid-19, nous avons plus que jamais besoin de fraternité. Dieu nous l’offre en nous donnant son Fils Jésus ». Et de s’écrier : « Nous sommes tous dans le même bateau » !

Cette image du navire, maintes fois utilisée, suggère bien à quel point nous sommes concernés par le drame vécu par les migrants, en particulier ceux qui sur les frêles esquifs tentent de franchir les mers en quête d’un avenir meilleur. Face à l’attitude d’indifférence et même de rejet du continent européen, le pape n’a pas craint de parler d’un « naufrage de civilisation », en faisant un triste constat : « La pandémie nous a fait réaliser que nous sommes tous dans la même barque. […] Nous avons compris que les grandes questions doivent être abordées ensemble, car dans le monde d’aujourd’hui, les solutions partielles sont inadaptées. Cependant, alors que les vaccinations progressent difficilement à l’échelle mondiale et que, malgré beaucoup de retards et d’incertitudes, quelque chose semble bouger dans la lutte contre le changement climatique, tout paraît terriblement bloqué lorsqu’il s’agit de la question migratoire. »

Pour le chrétien, qui sait être un pèlerin, l’image d’une même barque évoque aussi bien sûr l’Église, depuis sa préfiguration dans l’Arche de Noé surmontant les flots du déluge jusqu’à celle des apôtres malmenée par la tempête. Image ambivalente, qui suggère à la fois le rassemblement des bénéficiaires du salut dans leur diversité et sa fragilité face aux épreuves. Engagée dans un chemin synodal, qui voudrait mieux donner à chacune de ses composantes la place qui lui revient, et confrontée à la dénonciation de sa gestion d’abus, l’Église catholique en apparaît bien l’illustration. Mais les autres traditions ecclésiales, avec leur mise en valeur propre de tel ou tel aspect du salut, vivent aussi des épreuves, et toutes sont appelées à reconnaître combien elles ont besoin les unes des autres pour faire face aux mutations de notre temps.

Pour les militants du mouvement œcuménique, l’image de la barque évoque enfin le défi de l’unité de frères et sœurs confessant une même foi, un même baptême. Si celle de la flottille serait sans doute plus évocatrice de la réalité fragmentée qu’ils constituent, le symbole d’un unique navire demeure l’emblème du Conseil œcuménique des Églises, qui, à la veille de sa onzième assemblée générale, continue d’appeler les différentes traditions ecclésiales à se rapprocher selon les axes doctrinal, pratique, missionnaire et spirituel à l’origine de sa création.

Ce numéro d’Istina aborde plusieurs de ces aspects en attirant à nouveau l’attention sur l’important travail de la Commission Foi et Constitution. Il propose une présentation et la traduction d’un long et riche document sur le discernement moral, l’un des points d’achoppement du cheminement des Églises vers l’unité. Comme il l’explique à plusieurs reprises, ce document offre un outil. Son but n’est pas de déterminer quelle est la bonne ou la mauvaise façon d’aborder une question morale, mais plutôt d’aider à comprendre le processus de discernement mis en œuvre par les Églises et pourquoi des différences surgissent entre elles. Puisse-t-il être étudié et contribuer à une meilleure compréhension mutuelle des chrétiens appelés à donner ensemble un témoignage même d’espérance face aux défis contemporains.

Istina