Les minorités religieuses en France

Une recension publiée dans la revue Istina, 2020/2.

Anne-Laure Zwilling (dir.), Les minorités religieuses en France. Panorama de la diversité contemporaine, Montrouge, Bayard, 2019 ; 1310 p. 39,90 €. ISBN : 978-2-2274-9485-5.

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Description

Conçu en 2011, l’ambitieux projet de présenter tous les groupes religieux présents en France a abouti en 2019. Cette somme de 1310 pages, sur papier bible, est divisée en sept sections, dont tous les titres sont délibérément au pluriel : les judaïsmes, les islams, etc. On s’intéressera ici au traitement réservé aux christianismes orientaux, aux catholicismes et aux protestantismes. De manière presque exhaustive, toutes les familles ecclésiales y sont présentées ; on pourra toutefois s’étonner que les mariavites ne soient pas même mentionnés, alors qu’ils ont un évêque résident à Paris. Parfois le critère national ou ethnique est utilisé comme « délimiteur additionnel ». Pour les orthodoxes, on trouve donc des chapitres distincts pour les Grecs, les Antiochiens, les Serbes, les Bulgares, les Géorgiens. Pour les Russes, trois entités sont présentées : le diocèse de Chersonèse du patriarcat de Moscou, les communautés de l’Église russe hors frontières, et l’archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale. Pour ce dernier, les évolutions juridictionnelles récentes ne figurent bien sûr pas dans ce chapitre, qui garde cependant tout son intérêt historique.

Les ensembles constitués sont cohérents, même si l’on pourrait ici ou là discuter les choix opérés. Ainsi, les anglicans sont-ils vraiment à leur place entre les protestants chinois et les tsiganes dans la section « protestantismes », et non pas aux côtés des vieux-catholiques, dont ils sont pourtant théologiquement bien plus proches ? De même, dans la section « hors classement traditionnel » où ne figurent que des groupes à la marge du christianisme (mormonisme, jéhovisme), est-il judicieux d’insérer une Église d’institution africaine comme le kimbanguisme, alors qu’elle est membre du Conseil œcuménique des Églises depuis 1969 ?

Dans ce foisonnant inventaire, on lira d’excellentes synthèses, telles que celle de Damien Mottier sur les Églises pentecôtistes africaines ; ou, sous la plume de Nicolas Kazarian et Anne-Laure Zwilling, une remarquable introduction aux christianismes orientaux, où des questions théologiques complexes sont résumées avec grande clarté. Dans chaque chapitre, une rubrique est consacrée aux relations interconfessionnelles. Tout autant que les textes officiels des Églises, les accords théologiques bilatéraux sont aujourd’hui des marqueurs importants des identités ecclésiales. On saluera donc le choix de Rémy Bethmont, dans la bibliographie sur les anglicans, de faire figurer les documents de la commission internationale anglicane – catholique ARCIC et du comité mixte français, le French ARC.

Globalement les 80 contributeurs ont veillé à l’homogénéité du livre, en respectant un plan similaire, avec certes quelques variations stylistiques (l’usage optionnel du langage inclusif) et parfois des expressions inutilement jargonnantes (cf. le « dimorphisme sexuel », p. 216, pour signaler la prépondérance numérique des femmes parmi les fidèles dans les assemblées).

Si des disparités se font sentir d’un chapitre à l’autre, c’est surtout en raison de la diversité du profil des auteurs. Certains sont des responsables de l’Église qu’ils présentent : par exemple les deux inspecteurs ecclésiastiques émérites, Joël Dautheville et Jean-Frédéric Patrzynski, pour les luthériens en France « de l’intérieur ». Dans sa présentation originale du « catholicisme romain », un sociologue comme Josselin Tricou se tient davantage à distance de son objet d’étude. Avec quelques choix discutables : alors que l’association interconvictionnelle Coexister bénéficie d’un paragraphe entier, la vie religieuse catholique (monastères et congrégations apostoliques) est expédiée en cinq lignes ; à propos du groupe de presse Bayard (éditeur du livre), même le lien aux Assomptionnistes est passé sous silence.

Le projet de réaliser un aperçu « descriptif » de l’ensemble des groupes religieux dans l’espace français est donc plus ou moins réussi. Souvent le propos reste factuel et neutre, mais certains jugements émis sont contestables. Peut-on encore dire, par exemple, que les vieux-catholiques sont « proches des Églises orthodoxes », comme le fait Jean-Claude Mokry, alors que dans l’Union d’Utrecht sont aujourd’hui pratiquées des ordinations presbytérales féminines ? Et peut-on vraiment affirmer, avec Sébastien Fath, que le Conseil national des évangéliques de France [CNÉF] créé en 2010 « n’ajoute pas à la confusion du paysage protestant », qu’il « le clarifie » ? En observant les relations compliquées entre le CNÉF et la Fédération protestante de France, il est permis d’en douter.

C’est sans doute la définition choisie pour le mot « minorité » par les responsables de ce panorama religieux qui étonnera le plus : est en effet considéré comme minoritaire tout groupe qui « ne représente plus la moitié des habitants » (p. 195). Dès lors, même « l’évidence majoritaire » du catholicisme est remise en question, et le statut de minorité est considéré comme « la condition désormais indépassable de tous les groupes religieux en France » (p. 7). On peut alors se demander pourquoi le livre n’est pas plus simplement intitulé : « Les religions en France ».

Il se pourrait que cet « alignement minoritaire de toutes les confessions » soit moins neutre qu’il n’y paraisse. Plus qu’une donnée statistique, ne manifeste-t-il pas un souhait idéologique de reléguer le religieux « minoritaire » hors de la sphère publique ? C’est du moins ce que laisse penser la lecture étroite que, dans sa préface, Danièle Hervieu-Léger fait de la laïcité à la française, étrangement présentée comme un « confinement des choix religieux dans le registre des options purement privées » (p. 11) ; en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’Homme qui garantit à chacun « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé » (art. 9).

Franck P. Lemaître

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