Une recension publiée dans la revue Istina, 2018/3.
Konrad Raiser, The Challenge of Transformation. An Ecumenical Journey, Genève, World Council of Churches Publications, 2018 ; 256 p. 18 €. ISBN : 978-2-8254-1697-6.
Konrad Raiser, The Challenge of Transformation. An Ecumenical Journey, Genève, World Council of Churches Publications, 2018 ; 256 p. 18 €. ISBN : 978-2-8254-1697-6.
Ce livre est la version anglaise des « mémoires »[1] de Konrad Raiser, grand serviteur du mouvement œcuménique. Il s’ouvre avec l’arrivée de Raiser à Genève, comme membre du personnel du Conseil œcuménique des Églises [COÉ]. Le jeune théologien allemand fait ses apprentissages œcuméniques auprès du directeur de Foi et Constitution, Lukas Vischer. Il se verra très vite confier d’importantes responsabilités et, dès 1973, sera nommé secrétaire général adjoint. C’est lui qui coordonne les préparatifs de la sixième assemblée mondiale à Vancouver en 1983. S’il quitte alors Genève pour la faculté de théologie de Bochum, il garde tout son intérêt pour le COÉ et assiste à la septième assemblée mondiale de Canberra, en tant que délégué de son Église, l’EKD. Élu secrétaire général du COÉ en 1992, il gagne à nouveau Genève, qu’il ne quittera qu’à la fin de sa charge en décembre 2003, après un total de 25 années de service du COÉ.
Dès 1970, Raiser défend une thèse, qui marquera tout son engagement : « Ce qui entrave l’unité de l’Église aujourd’hui, ce sont bien moins des différences dans l’organisation ecclésiale, la doctrine, la vie sacramentelle et liturgique que toutes les questions de race, de classe sociale, de réussite scolaire, de pouvoir qui empêchent fondamentalement la communauté humaine de se réaliser » (p. 7). Cet intérêt pour l’oikoumenè, c’est-à-dire l’ensemble du monde habité, et cette compréhension moins ecclésio-centrée de l’œcuménisme marqueront le COÉ dans ses engagements pour les questions sociales, notamment dans le processus Justice, paix et sauvegarde de la création ; une option préférentielle qui suscitera bien des critiques de la part des orthodoxes, des évangéliques (Mouvement de Lausanne), et des catholiques. Cela dit, la tâche ecclésiologique n’est pas complètement désertée, comme le montre le document sur l’unité de l’Église adopté par l’assemblée de Canberra.
Tout au long du livre, on perçoit que les rapports avec le monde orthodoxe ne sont pas simples, avec notamment la menace répétée du patriarcat de Moscou de quitter le COÉ. Dans la réflexion menée pour parvenir à une compréhension commune du COÉ, Raiser fait état des débats intra-orthodoxes, le métropolite Jean de Pergame (patriarcat de Constantinople) se disant prêt à attribuer une certaine valeur ecclésiologique au COÉ, tandis que le métropolite Cyrille de Smolensk (patriarcat de Moscou) n’y voyait rien d’autre qu’un instrument de dialogue et de coopération entre les Églises.
Les liens de Raiser avec l’Église catholique sont tout aussi complexes, entre amertume devant le refus de devenir membre du COÉ, admiration et agacement (p. 13, il épingle une « impressive demonstration of Catholic self-confidence »). Il se montre particulièrement heureux de la signature d’un texte commun au COÉ et au Vatican (Justice et Paix[2]) à l’occasion du 25e anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme, en regrettant que ce soit, à ce jour, le seul document de ce genre signé par Rome et Genève. Raiser évoque aussi une conférence donnée à Lyon pour le 50e anniversaire de la mort de Paul Couturier, dans laquelle il avait dénoncé le document Dominus Iesus comme signe de stagnation œcuménique et il rapporte comment le cardinal Walter Kasper l’avait par la suite réprimandé publiquement, en faisant remarquer que le président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens était probablement « aux ordres ».
Sur le COÉ lui-même, Raiser manifeste une même franchise. Alors qu’il entreprend, comme secrétaire général, une vaste tournée de visites sur le terrain, il note : « Le COÉ était une entité très distante pour la plupart des responsables d’Église que je rencontrais. Certains le considéraient comme une source possible de soutien financier, mais un grand nombre de ses programmes de travail leur étaient inconnus. Les rapports et la communication écrite émanant du COÉ n’avaient le plus souvent pas été lus, et restaient dans les bureaux centraux. En beaucoup d’endroits il y avait peu d’échanges, y compris entre les Églises membres d’un même pays, et parfois ma visite était la première occasion pour les responsables d’Église de se réunir et de vivre une rencontre œcuménique » (p. 144). En toute lucidité, Raiser reconnaît aussi des échecs, comme par exemple le projet avorté d’un rassemblement œcuménique à Jérusalem pour tous les responsables d’Église en l’an 2000.
D’une lecture parfois aride, notamment dans la description détaillée des différents chantiers du COÉ (qu’on appelle « programmes »), cette autobiographie intellectuelle – enrichie d’un cahier central d’une trentaine de photos – est une source majeure pour l’histoire du mouvement œcuménique contemporain[3] et l’on sait gré à Stephen Brown, rédacteur en chef de la revue du COÉ, The Ecumenical Review, d’en avoir réalisé la traduction, en adaptant le texte pour un lectorat international.
Franck P. Lemaître
[1]. Original allemand : Ökumene unterwegs zwischen Kirche und Welt. Erinnerungsbericht über dreißig Jahre im Dienst der ökumenischen Bewegung, Münster, LIT Verlag, 2013.
[2]. On signalera un anachronisme dans le propos de Raiser (p. 26), le Conseil pontifical Justice et Paix n’étant créé qu’en 1988. À la date de ce document, les questions de justice et paix relèvent encore d’une simple commission.
[3]. On signalera seulement que Joseph Gelineau n’est pas un « dominicain français » (p. 10), mais un jésuite.