Éditorial 2023/2 : Quanta est nobis via ?

Cette question, posée par Jean Paul II dans la troisième partie de sa grande encyclique sur l’œcuménisme, a été reprise récemment par le pape François lors de la visite du pape d’Alexandrie à Rome à l’occasion du 50e anniversaire de l’accord christologique entre l’Église copte orthodoxe et l’Église catholique. Par-delà la préoccupation du rétablissement de la pleine communion entre ces deux Églises, le pape François nous invite à conjuguer mémoire et regard prospectif dans une attitude d’action de grâce :

En cultivant dans nos cœurs une saine impatience et un ardent désir d’unité, nous devons, comme l’apôtre Paul, « nous pencher vers l’avenir » (cf. Ph 3,13) et nous demander continuellement : « Quanta est nobis via ? » – Quel est le chemin qu’il nous reste à parcourir ? Il faut aussi se rappeler, surtout dans les moments de découragement, du chemin parcouru, s’en réjouir et s’inspirer de la ferveur des pionniers qui nous ont précédés. Regarder devant soi et faire mémoire. Mais il est sans doute encore plus nécessaire de regarder vers le haut, de remercier le Seigneur pour les pas que nous avons faits et de l’implorer de nous accorder le don de l’unité tant désirée.

De fait, plutôt que de reprendre l’antienne de « l’hiver œcuménique », ne devons-nous pas plutôt constater l’ampleur du chemin déjà parcouru et nous réjouir d’y avancer ensemble ? Les anniversaires d’institutions fragiles nous en offrent l’opportunité. Ainsi, celui du Conseil œcuménique des Églises, qui atteint cette année l’âge respectable de 75 ans, après avoir célébré sa 11e assemblée générale à laquelle est consacré ce numéro. Depuis 1948, les Églises membres ont fait bien plus que « demeurer ensemble » ! De même, la Conférence des Églises européennes, fondée une dizaine d’années plus tard dans le contexte de la guerre froide, tient à son tour son assemblée générale, à Tallinn, en Estonie, en ce mois de juin. Dans une Europe meurtrie, non seulement par l’invasion russe en Ukraine, mais aussi par les replis communautaristes et la montée des populismes, ses 113 Églises membres orthodoxes, protestantes, anglicanes et vieilles-catholiques continuent modestement de chercher comment « apporter la bénédiction de Dieu au monde ».

Alors que la Commission Foi et Constitution, qui nous a gratifiés de plusieurs documents de grande qualité, se prépare à célébrer les 1700 ans du concile de Nicée à l’occasion de sa prochaine assemblée, d’autres instances de dialogue poursuivent aussi patiemment leur travail. Ainsi pouvons-nous lire et étudier les récents documents produits par celles auxquelles participent les vénérables Églises de l’Orient chrétien : le rapport de la commission entre l’Église assyrienne de l’Orient et l’Église catholique, « Les images de l’Église dans les traditions patristiques syriaque et latine » (novembre 2022) ; ceux des commissions entre les Églises orthodoxes orientales et l’Église catholique sur « Les sacrements dans la vie de l’Église » (juin 2022) ou le rapport de la Communion anglicane sur « L’héritage des conciles œcuméniques dans l’Église », dit Accord de Bethel (novembre 2022). Vient de s’y ajouter le document Synodalité et primauté au deuxième millénaire et aujourd’hui de la Commission internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe (juin 2023) et prochainement sera publié celui du Groupe des Dombes sur la catholicité.

Mettre à disposition de lecteurs francophones des traductions de ces textes ou en donner des clés de lecture demeure la vocation première d’Istina, mais rien ne peut remplacer la réception, par les Églises et chacun de leurs membres, du fruit de ce labeur théologique. Cette réception suppose non seulement de surmonter préjugés et caricatures mais plus encore d’entrer dans la culture des autres Églises, leur langage, leur regard sur le mystère pour s’ouvrir aux dons qu’elles ont à partager. Pour cela il nous faut marcher ensemble, pour reprendre une image chère au pape François et au Conseil œcuménique des Églises. Comme le montre Stephen Brown dans ce numéro, ces derniers ont bien compris que « la recherche de voies spécifiques de coopération sur des questions vitales contribue à accroître la compréhension mutuelle et une vision partagée de la foi ».

Mais le défi majeur du mouvement œcuménique aujourd’hui est bien la transformation du paysage religieux, en particulier l’importance prise par la mouvance pentecôtiste et l’émergence d’Églises de la diversité sur lesquelles Istina n’a cessé d’attirer l’attention depuis une douzaine d’années. Sans ouverture à ces communautés et réseaux, le chemin sur lequel les partenaires historiques se sont engagés il y a près d’un siècle deviendrait une impasse. La création du Forum chrétien mondial montre qu’ils l’ont compris. Des rencontres épisodiques sur une telle plate-forme ne suffisent cependant pas. S’y intéresser pour y glaner des recettes pastorales s’avère aussi bien dérisoire. Il est grand temps pour les Églises engagées dans le mouvement œcuménique de se donner les moyens de comprendre l’expérience spirituelle offerte par ces communautés et réseaux, avec leurs spécificités sur chaque continent, et de prendre au sérieux la théologie qu’ils élaborent.

Istina